Vice-président de France Assureurs, président de l’Association des assureurs mutualistes et directeur général de Groupama, Thierry Martel analyse l’évolution des risques et les défis dont ils sont porteurs pour les acteurs de l’assurance.
Risques : Quel est votre regard sur l’évolution des risques au sein de nos sociétés ?
Thierry Martel : Je constate qu’il y a dans nos sociétés une aversion croissante aux risques alors même qu’ils sont nombreux et de plus en plus complexes. Depuis plusieurs années, nous assistons à un déplacement des curseurs entre les risques de fréquence et ceux d’intensité. Ceux de fréquence se stabilisent, voire diminuent, à commencer par l’automobile. A contrario, les risques d’intensité augmentent nettement : je pense principalement aux risques climatiques. Il faut garder à l’esprit que nous risquons un jour d’atteindre les frontières de l’assurabilité, et ce, pour plusieurs raisons. Il est d’abord difficile de mettre un prix sur certains risques. Or, l’assurance repose sur un fondement mathématique qui permet de mettre un prix sur un risque donné. Ensuite, je m’interroge sur la capacité de certains acteurs économiques à payer le prix réel du risque, qu’il s’agisse de collectivités ou de particuliers. Enfin, dans de nombreux cas, l’aléa n’existe plus car le risque est devenu certain. Cette situation remet en cause la nature même de l’assurance qui est d’assurer des phénomènes aléatoires. Par là, je pense notamment à des phénomènes géologiques comme le retrait du trait de côte ou le retrait-gonflement des argiles. La question n’est plus ici de savoir si ces risques vont se concrétiser, mais quand ils surviendront.
Risques : Dans ce contexte, comment s’adaptent les acteurs de l’assurance ?
Thierry Martel : Mon expérience de la profession m’a convaincu que l’ADN d’une compagnie d’assurance réside dans la distribution. Quand on regarde comment les clients se déplacent dans le marché, on constate que leurs mouvements se font beaucoup plus intra modèle qu’extra modèle. Le modèle de distribution reste fondamental dans la manière dont le client choisit son fournisseur d’assurance. Ce qui a de la valeur dans nos métiers, ce ne sont pas tant nos produits que la relation client. Aujourd’hui encore, 100 % de nos clients passent par une agence ou un canal téléphonique. Ils ont besoin de rencontrer un de nos collaborateurs avant de signer le contrat, signe que la relation humaine reste essentielle. Il va falloir que nous soyons vigilants face à certains textes qui peuvent présenter des effets pervers importants sur la distribution. C’est le cas de RIS et de FIDA. Certains pays européens ont déjà fait les frais de ces réformes, comme en témoignent l’exemple des Pays-Bas et de l’Irlande concernant l’interdiction du commissionnement. Clairement, le marché s’est trouvé déstabilisé par ce texte. Je regrette que ces retours d’expériences négatifs ne suscitent pas une prise de conscience de la part des pouvoirs publics. RIS porte en lui le germe d’une démutualisation du coût du conseil. Aujourd’hui, le conseil est mutualisé entre les petits et les gros épargnants. Avec RIS, nous nous exposons à une mise à mal de ce modèle avec des gros épargnants qui, compte tenu de leurs encours, pourront continuer à s’offrir une prestation de conseil, et des épargnants plus modestes qui n’auront pas les moyens de le faire. Sous prétexte de faciliter la comparaison des contrats, la Commission européenne, avec FIDA, risque de fragiliser la mutualisation des risques. Des acteurs, parfois non européens, capteront les meilleurs risques, laissant les plus vulnérables aux assureurs traditionnels. La concurrence par comparateurs favorisera la standardisation axée sur les prix, affaiblissant ainsi le niveau de protection des assurés malgré des besoins croissants.
Risques : Et le mutualisme dans tout ça ?
Thierry Martel : Nous avons connu un glissement significatif dans le partage de la valeur entre le travail et le capital. 7 % de la valeur ajoutée se sont déplacés du travail vers le capital : c’est un chiffre éloquent. Dans le mutualisme, la question ne se pose pas. Comme nous n’avons pas de capital à rémunérer, la répartition de la valeur entre le capital et le travail ne se fait pas entre l’intérêt des salariés et celui des actionnaires, mais entre l’intérêt immédiat des salariés et l’intérêt à long terme de ces derniers pour assurer la pérennité de l’entreprise. Cela change complètement la donne. Dans le pacte social que j’ai conclu avec mes partenaires sociaux, c’est cette approche que nous défendons. L’autre intérêt majeur du mutualisme est de pouvoir expliquer directement à nos clients pourquoi on ne peut pas assurer indéfiniment des sinistres si on ne collecte pas des primes et si l’on ne maîtrise pas mieux les risques en déployant des actions de prévenions. Ceci, avec la pédagogie qui s’impose pour nourrir une relation de transparence avec eux.