Les statistiques des catastrophes, toutes origines confondues, sont malheureusement éloquentes. Il ne se passe pas une semaine dans le monde sans qu’on apprenne qu’un événement d’amplitude extrême vient de se réaliser, entraînant son cortège effrayant de dommages matériels et humains extrêmes, assurés ou pas. Le plus souvent, il s’agit d’événements d’origine climatique : tempêtes, ouragans (ou cyclones ou encore typhons selon les continents concernés), inondations, glissements de terrains et sécheresses, ainsi que des phénomènes moins spectaculaires comme les retraits et gonflements des argiles, dont les conséquences économiques sont, elles aussi, catastrophiques. Moins nombreux que les désastres d’origine climatique, mais tout aussi destructeurs, les tremblements de terre extrêmes semblent de plus en plus fréquents. Deux séismes de magnitude supérieure à 9 sur l’échelle dite « ouverte » de Gutenberg-Richter, accompagnés de tsunamis majeurs, se sont déclenchés au cours de vingt dernières années (en 2004 à Sumatra et en 2011 au Japon), alors qu’on avait mesuré seulement trois séismes de cette magnitude dans le passé. Mais le rapprochement de ces deux phénomènes naturels est trompeur. Si les catastrophes d’origine climatique peuvent être liées au réchauffement climatique, dû à l’activité humaine, il n’en va pas de même pour les séismes et les éruptions volcaniques où les mouvements des plaques tectoniques sont indépendants des activités humaines. L’occurrence des deux séismes majeurs n’est vraisemblablement qu’une fluctuation statistique due au petit nombre de données sismiques anciennes. Dans tous les cas, les conséquences financières pour les assureurs sont extrêmes et peuvent dépasser les capacités de cette industrie, laissant le « reste à charge » aux victimes ou à leur État lorsqu’il est capable de les indemniser, c’est-à-dire, en fait, aux contribuables.
Puisque l’indemnisation totale des victimes n’est pas toujours possible, le bon sens nous dit qu’il convient de limiter l’impact des ces événements extrêmes par des politiques de prévention ou du moins de précaution. Par exemple, par des alertes au tsunami dans les régions côtières exposées à ce risque, ou par des normes de construction parasismiques dans les pays à forte activité sismique. Mais le bon sens ne suffit pas, car les dommages, qu’ils soient ou pas couverts par des assurances, sont la résultante d’une composition « au carré » de deux distributions de valeurs extrêmes. D’une part, il y a les valeurs extrêmes générées par dame Nature : les vitesses des vents, les températures extrêmes, les volumes d’eaux de pluie, la durée des sécheresses, les magnitudes des séismes, etc. D’autre part, il y a la concentration des populations humaines avec leurs richesses exposées aux risques naturels. C’est la rencontre d’un événement extrême climatique ou tellurique avec une concentration urbaine géante qui détermine la valeur extrême des dommages et du nombre des victimes. Or, cette concentration est croissante, qui plus est dans des mégapoles situées sur des côtes ou au bord de fleuves susceptibles de crues ou de tsunamis catastrophiques, ou encore situées sur le passage potentiel d’ouragans comme sur la côte atlantique des États-Unis ou la côte pacifique du Japon.
Le résultat de cette composition de valeurs extrêmes est que la distribution statistique des dommages présente des valeurs très éloignées de ses valeurs modales. Si bien que sa « queue de distribution » est si longue que la notion de valeur moyenne perd toute signification. On dit que la distribution théorique qui s’en rapproche le plus est du type « Pareto sans espérance mathématique, d’exposant caractéristique égal à –1 ». L’exemple le plus représentatif de cette absence de valeur moyenne est celui des dommages dus aux phénomènes d’origine climatique aux États- Unis, toutes origines confondues. La plus grande valeur totale des dommages assurés et non assurés s’est élevée à environ 140 milliards de dollars d’aujourd’hui. Ils sont dus à un seul événement : l’ouragan Katrina en août 2005. Ce total catastrophique pourrait être doublé par un futur ouragan majeur, car sa probabilité, donnée par la distribution de Pareto, est seulement moitié moins grande que celle de l’ouragan Katrina ! Quant aux dommages dus aux séismes, ils sont eux aussi distribués selon une loi sans espérance mathématique. En effet, la fameuse échelle de Gutenberg-Richter, qui relie la fréquence des séismes au logarithme de leur magnitude, n’est pas autre chose qu’une distribution de Pareto sans espérance mathématique, d’exposant égal ou voisin de –1. Chaque échelon de magnitude y correspond à une énergie trente fois supérieure à celle de l’échelon précédent. Ainsi, un séisme de magnitude 9, comme ceux de 2004 et de 2011, est près de mille fois plus intense qu’un séisme de magnitude 7 ! On peut rationnellement craindre pour les assureurs de Californie si la région devait être frappée par un séisme de magnitude 9 ou pire, 10 (le « Big One »), due à la rupture sur plusieurs centaines de kilomètres de la célèbre « faille de San Andreas ».
Or, les assureurs ne peuvent ni réduire la concentration des populations et de leurs richesses dans des mégapoles, ni arrêter la tectonique des plaques ni enfin ralentir le réchauffement climatique. Il ne leur reste que deux choix : ne plus assurer au-delà d’un plafond contraint par la capacité du marché mondial de l’assurance et de la réassurance ; ou bien élargir la base de la mutualisation en diffusant l’assurance auprès des populations et des entreprises qui, à tort ou à raison, ne sont pas assurées contre les risques extrêmes. C’est le choix qu’a fait la France en créant l’assurance catastrophes naturelles obligatoire, sous la forme d’une cotisation supplémentaire à tous les contrats d’assurance multirisque habitation. Cette mutualisation obligatoire peut-elle suffire ? Les cinq articles de la rubrique apportent des éléments de réponse à cette question.