Alors que se mettent en place les nouvelles institutions européennes qui proposeront, adopteront et mettront en œuvre l’agenda stratégique de l’Union au cours des cinq prochaines années, quelques lignes de force semblent se dégager. Tout d’abord, il semble cette fois-ci vrai que l’Europe devra changer pour s’adapter à un monde devenu plus « risqué », en fait plus dangereux et nettement moins coopératif, un monde où se révèlent ses profondes vulnérabilités. Changer, cela voudra dire notamment clarifier ses priorités, être plus incisive pour peser, savoir aller plus vite, devenir vraiment géopolitique et géostratégique. Cela vaut pour ses États membres comme pour ses institutions, dont naturellement le Comité économique et social européen (CESE) dont je suis membre. Historiquement, ce sont surtout les défis, et même les épreuves, qui ont permis à l’Union d’avancer. Les réponses difficilement concertées, mais finalement à ce stade efficaces, à la crise sanitaire puis à l’agression de l’Ukraine l’ont à nouveau montré. Mais tout n’a pas été réussi, ou même sérieusement tenté au cours de ces dernières années et les opinions publiques l’ont bien ressenti. Pensons notamment à la diminution de la dépendance énergétique, à l’éducation alors que nous avons tant besoin de talents, à la signature d’accords commerciaux équilibrés, à la démographie… En matière de défense, une prise de conscience est enfin là, mais les Européens restent timides tant sur le plan strictement militaire qu’en matière de production d’armes. Quelques grands axes se dessinent à mon sens pour l’avenir, tracés notamment par des rapports récents au niveau européen (Letta, Draghi, CESE, European Real Estate Forum..) ou français (Noyer, B. Attali, et ceux de grandes associations professionnelles : Medef, France Assureurs, AFG, Af2i, FBF, Amafi, etc.) Sans reculer sur l’objectif climatique (le « pacte vert »), qui est primordial ne serait-ce que pour maîtriser des risques majeurs, l’Europe devra se concentrer sur le renforcement de la compétitivité de ses entreprises, qui sont désormais en difficulté au niveau mondial : vers un « pacte productif » ou un « pacte compétitif ». Ce n’est pas au niveau de son « modèle social » que résident à mon sens les difficultés essentielles, même si celui-ci devra s’adapter, parfois en revenant d’ailleurs à ses principes assurantiels d’origine. En la matière, l’accent devra être mis sur la formation initiale et continue, en poursuivant l’Année européenne des compétences de 2023, amplifiant l’une des intuitions de Jacques Delors. C’est sur deux autres points essentiels pour la croissance que je voudrais insister dans ce bref texte introductif, m’en tenant principalement au champ de notre revue. Le premier est que l’Europe doit apprendre à mobiliser son épargne (voilà une ressource dont elle ne manque pas !) vers l’investissement à long terme dans son économie, vers la productivité des entreprises et leurs fonds propres, vers le financement de ses transitions : défense, numérique (au sens large) et climatique/énergétique. Pour cela il faudra notamment appliquer intelligemment la réglementation « Bâle IV », relancer la titrisation, mieux calibrer le couple rentabilité/ risque des épargnants individuels et des investisseurs institutionnels (dont naturellement les assureurs) et renforcer l’industrie européenne de la gestion d’actifs. Le second, c’est qu’il faut que l’Europe modifie profondément sa façon de fabriquer ses normes. Ce n’est pas en additionnant ce qui se fait de « mieux » dans chaque pays que l’on arrive à un résultat optimal. Chaque nouvelle directive ou règlement devra désormais passer – comme je l’avais suggéré dès le début de 2021 dans l’avis du CESE sur l’Union des marchés de capitaux dont j’étais le rapporteur – un « test compétitivité ». Oui ou non, ce texte sera-t-il bon pour les entreprises européennes dans la concurrence internationale ? Sera-t-il favorable à l’innovation (halte aux biais « antirisque »), pour la création de richesses et d’emplois, pour la solidité des chaines de valeurs, pour l’adaptabilité ? Et cela vaut pour toutes nos industries, y compris nos industries de service : immobilières, commerces, financières… Les auteurs de cette rubrique vont développer ou nuancer nombre de ces points et ouvrir d’autres pistes.
Bonne lecture !
L’Europe face à son destin
Dominique Moïsi, Géopoliticien, membre fondateur de l’Institut français des relations internationales
Dominique Moïsi, dans cet entretien très riche, démontre notamment que la pandémie hier, la violence de l’action russe et le doute par rapport aux États-Unis aujourd’hui poussent désormais l’Europe à entendre les appels à accroître son autonomie stratégique. Mais pour être ressentie comme une solution face au sentiment généralisé de perte de contrôle, il lui reste à apprendre à parler davantage, et positivement, aux émotions des Européens.
L’Europe de la défense, en avant !
Valérie Lecasble, Éditorialiste LeJournal.info, Présidente de Valerie Lecasble Contenus
Valérie Lecasble souligne que l’Europe de la défense semble enfin en marche, par force car elle a pris davantage conscience de ses grandes vulnérabilités. Le chemin reste pourtant encore long, sur le plan militaire opérationnel comme en matière industrielle.
Le cycle politique européen 2024-2029 : quelles priorités ?
Yves Bertoncini, Consultant en Affaires européennes, Enseignant au Corps des mines et à l’ESCP Business School
Yves Bertoncini montre pourquoi les deux priorités du nouveau cycle politique européen qui s’ouvre après les élections de juin 2024 seront de garantir la sécurité du continent et renforcer la compétitivité de son économie. Dans un nouvel équilibre combinant ouverture et objectifs de souveraineté, cela appellera une rénovation des fondements marchands, financiers, géographiques et institutionnels de l’Union.
L’épargne en Europe, vue d’un économiste
Patrick Artus, Économiste, membre du Cercle des économistes
Patrick Artus constate, en économiste, que les Européens investissent largement leur épargne à l’extérieur du continent et ont une forte préférence pour les actifs non risqués. L’Union des marchés de capitaux ne résoudra pas ces deux problèmes si l’attractivité des projets d’entreprises ou d’infrastructures en Europe ne s’accroît pas.
Compétitivité européenne et financement des transitions : construire une véritable union de l’épargne et de l’investissement
Laure Delahousse, Directrice générale, AFG
Thomas Valli, Directeur des études économiques, AFG
Laure Delahousse et Thomas Valli indiquent que la mobilisation de l’épargne, abondante en Europe, pour financer ses nécessaires transitions énergétique, digitale et compétitive sera d’autant plus efficace qu’elle reposera sur des acteurs financiers européens forts, porteurs de « biais d’allocation » favorables.