Un an après la réforme des retraites, on croit connaitre les risques de la transition démographique qu’on réduit volontiers à des problèmes de financement, évidemment préoccupants dans un contexte où la capacité d’endettement parait fortement contrainte. Toutefois, les problèmes de financement n’épuisent pas la complexité de la transition démographique, ni la complexité des solutions à lui apporter. Heureusement, les autrices et les auteurs de ce dossier vont nous aider à éclairer le panorama des cinquante prochaines années. Le diagnostic est posé en trois temps. Par Hippolyte d’Albis tout d’abord, qui nous montre que la population active va continuer à bénéficier d’un flux de jeunes nés en France important jusqu’à la fin de la décennie. L’accroissement naturel sera ensuite insuffisant pour maintenir la part des actifs dans la population totale. Les ressources importantes qui sont consacrées à la jeunesse vont donc aller en décroissant à effort constant par jeune, sans que soit remise en cause la tendance récente : le système social et fiscal français, s’il réduit les inégalités propres à la classe d’âge, ne parvient plus à empêcher la hausse des inégalités au sein des générations les plus récentes. Cela pourrait s’avérer une cause de tensions.
Alain Villemeur offre une perspective plus inquiétante sur les risques démographiques majeurs de la transition : le choc du vieillissement va se traduire par une hausse considérable des dépenses pour les retraites, la santé et la perte d’autonomie, ce qui induira un risque financier majeur. Le moindre renouvellement des générations comme le fléchissement de l’investissement vont augmenter les risques de stagnation et de conflit intergénérationnel. Les politiques publiques doivent anticiper et cibler résolument les facteurs clés de l’émergence de ces risques. La montée désormais sensible des tensions dans la société française donne une acuité particulière à cette perspective d’un conflit intergénérationnel attisé par les problèmes de répartition.
Jasmine Manet analyse la réalité des oppositions entre génération silencieuse, boomers, génération X, millenials et génération Z : les aspects symboliques, comme la définition des responsabilités dans la crise climatique, sont indéniables mais pour l’heure c’est surtout la segmentation des modes de communication qui pénalise le dialogue. L’autrice montre en effet la puissance d’une aspiration à la réconciliation, et la réalité du désir de vivre ensemble, de s’engager et de travailler en commun à rénover les cadres de la vie sociale.
Pour Mickael Berrebi, la jeunesse s’inquiète en particulier de la possibilité de préserver l’État-providence, partagée qu’elle est entre l’aspiration à des solutions collectives et la défiance à l’égard des médiations qui fait préférer les solutions individuelles. Les moyens à disposition pour remédier aux effets des changements démographiques s’organisent selon trois échelles : la politique, l’entreprise, la personne. C’est la combinaison de ces trois échelles d’intervention, des relations entre les générations et des modalités de conciliation des attentes de chacun, en particulier face aux transitions, qui définira le nouveau modèle social. Si on admet que le conflit de génération peut être évité, la question du financement parait ensuite comme la plus préoccupante face aux risques des transitions, en particulier parce que les administrations publiques sont endettées et les ménages ont tendance à préférer l’épargne liquide, alors que les enjeux de financement sont à long voire très long terme. C’est pourquoi le législateur avait institué en 2000 un Fonds de réserve pour les retraites (FRR), avec pour objectif d’accumuler la somme symbolique de 150 milliards d’euros (mille milliards de francs) en vingt ans.
Sandrine Lemery nous rappelle que le FRR a fait évoluer le modèle de solidarité intergénérationnelle de la répartition instantanée à la « répartition provisionnée ». Toutefois, depuis 2010, le fonds a été utilisé pour servir des objectifs de court terme, notamment le remboursement des dettes sociales. Même si, grâce à une gestion solide, les résultats ont été robustes à ce changement de stratégie, même si le fonds peut encore contribuer à atténuer la charge de la transition démographique sur les retraites, le politique a démontré dans l’orientation du fonds une volatilité qui pourrait s’éloigner de la trajectoire optimale de long terme.
A défaut d’un engagement infaillible de l’État, Christian Carrega propose d’organiser l’allongement de l’horizon des placements des ménages pour permettre les financements longs nécessaires aux transitions. L’assurance vie a commencé à jouer ce rôle depuis 1980 avec un succès indéniable. Les Organismes de retraite professionnels supplémentaires (ORPS) constituent une nouvelle étape symbolique : il faut maintenant les faire entrer dans les moeurs et le patrimoine des Français. Des résistances existent, comme l’attachement à l’immobilier : l’auteur montre que des innovations permettent de rendre plus liquides les placements immobiliers et de gommer la frontière avec les placements financiers. L’allongement de l’horizon d’investissement est évidemment un chantier de longue haleine qui semble donc bien engagé. Cela suffira-t-il à financer les différents aspects de la transition démographique ?
Considérant l’exemple de la dépendance, Kevin Genna décrit l’hétérogénéité de la population dépendante future en matière de revenus : plus de 50 % de cette population sera en incapacité de payer les frais de sa dépendance sans une aide extérieure. Malgré l’existence de l’aide personnalisée d’autonomie (APA), il parait impossible d’éviter une baisse drastique des revenus disponibles pour les personnes dépendantes, avec des conséquences significatives en termes de bien-être non seulement pour ces personnes, mais aussi pour leurs familles, sans un dispositif assurantiel obligatoire. C’est précisément cette intuition générale qui conduit Florence Lustman à formuler une proposition plus précise. Les assureurs offrent déjà des contrats dépendance qui couvrent sept millions de personnes, ce qui a permis de saisir les attentes du public et de tarifer au plus juste pour proposer aujourd’hui une solution globale dans son concept et personnalisée dans son application : il s’agit d’inclure une garantie dépendance dans les contrats de complémentaire santé pour étendre au plus grand nombre la logique vertueuse de la mutualisation. Cette proposition concrète répond aux attentes des Français de plus en plus inquiets et démunis face à ce risque. L’exemple de la dépendance permet de comprendre que la conception institutionnelle est aussi importante que le financement pour résoudre les problèmes complexes liés aux transitions. Dans certains cas, le financement est même tout à fait secondaire, comme l’indique Sybille Le Maire. Considérant notamment l’exemple de l’exposition des femmes à la transition démographique, « point aveugle des politiques de protection sociale », elle montre que l’allongement de la vie doit s’accompagner d’une redéfinition des carrières et donc des attentes des parties prenantes. La Charte du Club Landoy synthétise les bonnes pratiques en la matière, son adoption par les entreprises constitue une promesse d’avenir.
Christian Schmidt de La Brélie propose d’élargir cette perspective : les assureurs doivent anticiper la transition démographique pour l’accompagner par une série d’actions stratégiques, notamment en matière de prévention, de natalité, de bien-être au travail et de ciblage du partage de la valeur. Pour chacune de ces actions stratégiques, l’auteur ne propose rien moins que des modalités d’interventions financées par un modèle économique viable propre à chacune d’elles.
Afin d’illustrer la complexité des réponses « multifactorielles » aux différents aspects des transitions, Bruno Angles choisit de regarder en gros plan le risque dépendance pour associer tous les acteurs de la solidarité intergénérationnelle : l’État et les collectivités ont bien sûr un rôle à jouer, de même que les solidarités familiales et les entreprises, mais les assureurs apportent aussi, outre leur savoirfaire dans l’exécution des contrats, une action d’animation des réseaux associatifs intéressés à la résolution des problèmes, un soutien aux expériences pionnières menées avec les parties prenantes, et enfin un accompagnement des aidants. Tout cela dénote évidemment les valeurs d’une entreprise spécialiste de la protection sociale et patrimoniale, paritaire et mutualiste. C’est bien ce que promettent les assureurs face aux risques de la transition démographique : qu’un financement satisfaisant permettra non seulement de verser des prestations nécessaires, mais aussi et surtout de mobiliser tous les acteurs et toutes les parties prenantes de la solidarité intergénérationnelle, d’aligner toutes les bonnes volontés. Encourageante perspective pour laquelle nous remercions les autrices et les auteurs de ce dossier !