Les statistiques climatiques mondiales sont unanimes. Non seulement elles enregistrent des records de températures un peu partout dans le monde, génératrices de vagues de chaleur et de sécheresses, mais elles annoncent aussi un futur peu réjouissant faisant alterner des épisodes « chauds et secs » avec des épisodes de périodes climatiques humides génératrices de pluies diluviennes et d’inondations catastrophiques, car la quantité de vapeur d’eau stockée dans l’atmosphère augmente lorsque le climat se réchauffe. L’exemple actuel de la Grèce illustre ce paradoxe apparent d’une alternance d’une météo chaude et sèche avec une météo humide. Ce pays vient de subir cet été une canicule puis des incendies de forêts majeurs. Il subit actuellement (en septembre) des inondations catastrophiques, comme d’ailleurs ses voisins, la Bulgarie et la Macédoine. Les incendies de forêts, qui ont gravement affecté les forêts françaises l’an dernier, ont brûlé cet été près de 15 millions d’hectares de forêts au Canada, un pays pas spécialement réputé pour être « chaud ». Rappelons que cette surface brûlée correspond à la surface de la forêt française (16 millions ha) et presque au tiers de la surface de la France continentale (55 millions ha).
Mais il y a pire, d’où le titre de la rubrique « La sécheresse et ses risques ». Non seulement la sécheresse provoque des incendies et des dommages aux plantes et aux animaux par le stress hydrique, mais elle engendre aussi de l’inconfort aux être humains déshydratés, par exemple des restrictions d’usage de l’eau – inconfort qui peut être mortel comme pendant la canicule de 2003 – et elle provoque surtout un phénomène insidieux, destructeur à la longue : le retrait des argiles. Lequel est d’autant plus prononcé qu’il intervient après un épisode humide qui les a fait gonfler. Sachant que l’alternance du sec et de l’humide est la règle, les propriétaires d’immeubles menacés par ce retrait et gonflement des argiles (RGA) et donc leurs assureurs ont de quoi se faire des soucis.
Comme si un malheur ne pouvait arriver seul, la sécheresse provoque d’autres dommages, notamment des chutes de grêles, conséquences d’orages violents favorisés par l’accumulation de chaleur dans les hautes couches de l’atmosphère. Les tempêtes de grêle frappent les cultures (hachages et brûlures) mais endommagent aussi des automobiles, des avions en stationnement, des toitures, des panneaux solaires, etc. Or, ces derniers sont de plus en plus nombreux sur les toits des pavillons d’habitation et sur ceux d’immeubles industriels ou de bureaux, justement pour produire de l’électricité zéro-carbone afin de lutter contre le changement climatique !
Toutefois, pour spectaculaires qu’elles soient avec parfois des grêlons « gros comme des balles de tennis », les chutes de grêles sont moins dramatiques pour les assureurs car les parcelles impactées sont plus petites et plus localisées que les forêts en flamme, alors que ce sont des régions entières qui sont susceptibles d’être victimes du RGA. Voilà pourquoi les neuf articles de cette rubrique consacrent leurs développements principalement au RGA.
L’article de Franck Le Vallois et José Bardaji analyse les données de l’assurance des catastrophes naturelles en France, dont les déficits techniques depuis huit ans reflètent l’augmentation de la fréquence et de l’intensité des sinistres climatiques. Les différentes extrapolations des tendances vont toutes dans le sens d’une aggravation qui appelle des mesures urgentes pour équilibrer le régime « cat-nat ».
Yvette Veyret et Richard Laganier sont deux géographes qui replacent les sécheresses actuelles dans leur contexte historique. Ils montrent qu’elles ont toujours existé, même bien avant le réchauffement dû aux activités industrielles. Mais il montre aussi la tendance croissante des épisodes de sécheresse avec les conséquences locales, qui ont entraîné la multiplication des réglementations et des gestes politiques pour lutter contre ces conséquences.
Les trois articles qui suivent traitent du risque RGA en tant que tel. Sébastien Gourdier et Bastien Colas développent le point de vue des géotechniciens. Ils établissent la carte des risques liés au RGA, lisible sur le portail Géorisques. Lamine Ighil Ameur expose les aspects techniques de prévention des risques appliqués au bâti. Par exemple éviter les végétations trop proches du bâti et bien d’autres recommandations. Léa Thorel, Sarah Gérin-Chassang et Lilian Pugnet exposent les outils opérationnels qui favorisent l’adaptation des bâtiments au RGA et réduisent ainsi les coûts des sinistres. Les quatre autres articles traitent des aspects assurantiels du RGA. Antoine Quantin, de la CCR, recherche l’équilibre du régime « cat-nat » mis à mal par le RGA en prônant un retour aux fondamentaux de ce régime d’assurance mi-privé mi-public, à savoir n’assurer que les événements exceptionnels en laissant les autres à la prévention. Louis Bollaert et Maxime de Ravignan décrivent un mécanisme innovant d’indemnisation des victimes du RGA : l’assurance paramétrique. Elle libère l’assureur et l’assuré des longues et coûteuses procédures d’évaluation des dommages, grâce aux outils automatisés d’analyses sur le terrain et par des indemnisations liées à un paramètre objectif. Par exemple un degré d’hygrométrie. Clément Billoré et Jean-Baptiste du Chazaud abordent le point de vue des réassureurs, autres que la CCR. Ils montrent combien le risque lié au RGA a contribué à augmenter les primes et à modifier l’offre de couverture des cédantes par le marché mondial de la réassurance. Stephan Fangue, enfin, actuaire chez un grand assureur, plaide pour une prévention systématique et pour une inclusion du risque sécheresse dans le « fonds Barnier ».