Sujet brûlant s’il en est, la réforme des retraites, au pluriel puisqu’il y a une multitude de régimes concernés, est au cœur de l’actualité politique. Le gouvernement a choisi dans un premier temps la voie radicale qui aurait supprimé la multitude en la remplaçant par un régime unique, donc universel. Ce régime aurait été alimenté par un système de cotisations par points comme le système actuel des retraites complémentaires géré par l’Agirc-Arrco, tout en n’en recopiant pas les bases. Mais les vicissitudes politiques et syndicales, la crise des « gilets jaunes », la Covid-19 et l’incompréhension du public ont eu raison de ce choix radical. Le gouvernement s’est donc rabattu sur une énième réforme qui s’ajoute aux réformes antérieures qui ont modelé le système par répartition issu de la Libération.
Faute de réforme radicale, le gouvernement a basé sa communication autour du slogan « la retraite à 65 ans » pendant du slogan des années Mitterrand « la retraite à 60 ans ». Il s’agirait donc d’une simple réforme paramétrique qui déplacerait le curseur de cinq ans. Les actifs travaillant cinq ans de plus, les futurs retraités en profitant cinq ans de moins. Ce slogan, facile à comprendre par tous, est évidemment d’une simplicité trompeuse. Car la multitude des régimes actuels – publics, privés, salariés, indépendants, exploitants agricoles, sans parler des régimes publics dits « spéciaux » – font que 65 ans n’a pas du tout la même signification ni les mêmes conséquences pour chaque catégorie d’actif, sans parler de la complexité des retraites de ceux, de plus en plus nombreux, qui relèvent de plusieurs régimes au cours de leur vie professionnelle. Surtout, à 65 ans, un ouvrier du bâtiment qui a commencé sur les chantiers vers 18-20 ans n’a pas la même espérance de vie qu’un banquier ou un professeur d’université qui a commencé sa carrière après 25 ans. De même les durées des activités professionnelles à temps plein, donc hors chômage et congés divers (maladie, maternité, etc.), sont très variables selon qu’il s’agit d’un homme ou d’une femme.
Pour ajouter à la complexité de la réforme, la confusion des informations transmises par les parties prenantes – syndicats de salariés du secteur privé, syndicats de fonctionnaires, Medef, Etat, caisses de retraites, etc. – fait que l’éventail des scénarios d’évolution des retraites s’étend d’un extrême à l’autre : du « il est urgent de ne rien faire » car le système actuel peut continuer sans réforme à « le système actuel court à la catastrophe » tant il est déséquilibré et aggravera son déséquilibre dans les années à venir, s’il n’y a pas de réforme. Or, compte tenu de la complexité des actuels systèmes de retraite et de leurs réformes envisageables, il est évident que le simple déplacement du curseur de l’âge ne suffira pas à assurer l’équilibre futur. On peut même dire que si ce déplacement pouvait suffire, il serait déjà acté ou du moins serait sur le point de l’être. Sauf dans le cas très optimiste de l’équilibre en l’absence de réforme, l’évolution attendue du déséquilibre entre les cotisations et les prestations des systèmes de retraite constitue donc un risque majeur pour les comptes sociaux, tant privés que publics. C’est pourquoi la revue Risques se devait de faire le point.
L’historien Pierre Martin rappelle que les systèmes de retraite en France ont connu des naissances tourmentées, notamment les retraites ouvrières à la fin du XIXe siècle. Il montre aussi combien les variables démographiques jouent un grand rôle dans l’équilibre des retraites, surtout depuis la généralisation de la retraite par répartition au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Deux chiffres suffisent presque pour décrire le problème de cet équilibre : durée de vie espérée à la retraite, 22 ans (en 2022) ; durée de vie active, y compris les périodes chômées et les congés, entre 40 ans et 45 ans pour la plupart, avec une minorité au-delà de 45 ans.
Le collectif qui signe Sophie Bouverin rétablit les données chiffrées qui font tant défaut dans les débats publics. Elles montrent combien le déficit entre les cotisations et les prestations est important (1,3 % du PIB) alors qu’il n’est jamais identifié en tant que tel. Elles montrent aussi que le simple décalage de l’âge de la retraite ne suffira pas à rétablir l’équilibre.
Philippe Trainar reprend les analyses de Sophie Bouverin en insistant sur l’allongement de la durée de cotisation. Il montre que la réduction de l’âge du départ à la retraite (60 ans en 1983), alors que la durée de vie espérée à 65 ans est passée de 16 ans à 22 ans, a été une erreur économique que la réforme en cours devra compenser. Mais il préconise aussi une modulation de cet âge du départ pour tenir compte des facteurs individuels comme l’âge d’entrée dans la vie active, la pénibilité, les maternités, etc.
Alain Villemeur met en évidence un phénomène caractéristique de la France, le sous-emploi des seniors de plus de 55 ans et surtout de plus de 60 ans, comparé à celui des pays de même niveau de développement. La modélisation qu’il propose montre que les principaux déficits des régimes de retraite ne seront résorbés que si de multiples incitations à l’emploi des seniors sont mises en place, ce qui augmenterait leur taux d’emploi de dix points. L’âge de 65 ans n’apparaît alors que comme une variable d’ajustement. L’article préconise également un recours plus étendu à la capitalisation individuelle, encore peu répandue en dehors de l’immobilier et de l’assurance vie.
L’article de Thomas Chardonnel, Stéphanie Cariou-Hellec et David Miseray développe et analyse le récent produit facultatif de retraite supplémentaire, le Perp, créé par la loi Pacte et dont CNP Assurances est l’un des gestionnaires le plus important. Ce produit connaît un grand succès, à l’inverse de son prédécesseur le PER qui ne prévoyait qu’une sortie en rente sauf cas particuliers. Il constitue une nouvelle formule de capitalisation qui complète la répartition, comme plusieurs auteurs de cette rubrique le préconisent.
La capitalisation individuelle ou collective est au centre de l’article de Virginie Le Mée qui aborde un aspect connexe de la retraite, la dépendance, dans le cadre plus général de la « silver économie ». En effet, l’allongement de la durée de vie des retraités ne pose pas seulement un problème de financement, mais aussi un problème de gestion des personnes dépendantes, souvent très âgées (> 85 ans), dont le nombre ira en croissant. L’article insiste sur le maintien de la solidarité intergénérationnelle, un avantage de la répartition, perdu dans un système de capitalisation individuelle.
François-Xavier Selleret et Cécile Vokléber abordent un aspect franco-français de la gestion des systèmes de protection sociale, celui de l’Urssaf qui gère les cotisations de la Sécurité sociale auprès des salariés et de leurs employeurs et celui des caisses de retraite Agirc-Arrco. Un projet en cours d’évaluation, soutenu par le gouvernement, prévoit de fusionner ces 2+1 organismes sociaux en un « guichet unique » afin de gagner en efficacité. L’article développe tous les inconvénients que cette fusion entraînerait et recommande de ne pas créer de « guichet unique ».
Enfin, Xavier Autain analyse un cas d’école, celui de la Caisse de retraite des avocats, la CNBF. Cette caisse professionnelle par répartition est en équilibre et ne présente pas de déficit structurel en raison notamment de la largeur de la base de la pyramide des âges des cotisants. Elle pratique une forme de redistribution entre ses cotisants les plus aisés et ceux aux revenus les plus faibles. L’article montre qu’en cas de fusion-dissolution dans un régime universel de retraite, dorénavant abandonné, les retraites des avocats seraient amputées et les cotisations augmentées, une double peine en quelque sorte.