L’équilibre épargne-investissement, dont l’assurance, et plus particulièrement l’assurance vie, constitue une pièce maîtresse, demeure au cœur des problématiques de l’économie française, avant comme après la crise financière, avant comme après la crise de la Covid-19. Le taux d’épargne des ménages français reste l’un des plus élevés au monde, de l’ordre de 14-15 % au cours des quarante dernières années, mais loin de financer l’investissement et l’activité économique, cette épargne reste centrée sur le remboursement des emprunts souscrits pour l’acquisition d’une résidence principale. Le taux d’épargne financière est, quant à lui, beaucoup plus faible, tant en niveau absolu qu’en niveau relatif, de l’ordre de 4 % au cours de la même période, et lorsqu’il a augmenté, comme en 2020 année où il s’est élevé à 12,1 %, c’est pour s’investir dans la liquidité et non dans des placements productifs. Car c’est là la deuxième caractéristique de l’épargne des ménages français, elle privilégie les placements liquides et sans risque aux dépens des placements productifs. Les Français détiennent ainsi 46 % de leur épargne sous forme de compte chèques, de comptes d’épargne et d’épargne salariale, 40 % sous forme d’assurance vie et d’épargne retraite et seulement 14 % sous forme de valeurs mobilières, actions ou obligations, ou fonds commun de placement. Pour 30 % cette épargne correspond à des actifs risqués (assurance vie en unités de compte, actions détenues en direct et fonds commun de placement en actions). La hausse durable du taux d’épargne financière, la mobilisation de l’épargne liquide accumulée durant la crise de la Covid et l’orientation de l’épargne vers les placements productifs ou risqués constituent donc des défis importants de l’économie française pour les mois et les années à venir. Ces défis sont d’autant plus difficiles qu’ils doivent être relevés aujourd’hui, dans un contexte de hausse du prix du carbone et de transition écologique, et d’incertitudes sur l’inflation, la politique monétaire et les taux d’intérêt. Mais ils sont d’autant plus importants qu’ils déterminent assez largement notre capacité à rattraper l’activité perdue durant la crise de la Covid et à combattre la tendance au ralentissement progressif de la croissance tendancielle observée sur le long terme. Les articles regroupés dans ce dossier abordent les différentes facettes de ces défis et des réponses qui peuvent leur être apportées.
Patrick Artus analyse ainsi les perspectives d’une remontée des taux d’intérêt et ses conséquences, après plus de vingt ans de taux d’intérêt très bas, auxquels les agents ont eu tout le temps d’adapter leurs comportements. Dans ce contexte, une remontée importante des taux d’intérêt imposerait un désendettement massif des agents et générerait une contraction de la demande et une récession qui feraient chuter le prix des actifs et conduiraient à une perte de solvabilité. Or, une remontée des taux d’intérêt ne peut être exclue aujourd’hui, pour des raisons symétriques à celles qui ont entraîné la baisse des taux d’intérêt, i.e. une modification de l’équilibre mondial entre épargne et investissement ou un changement d’orientation des politiques monétaires, aujourd’hui expansionnistes.
Laure Delahousse et Thomas Valli constatent que la professionnalisation de la gestion des patrimoines est arrivée à point nommé. Elle permet de corriger certains biais des comportements d’épargne individuels résultant notamment d’un manque de connaissance ou d’information financière. Elle permet en outre d’accompagner la transition des produits d’épargne qui offraient un rendement sans risque attractif vers un monde où la rémunération positive est liée à la prise de risque et au choix de « solutions » d’épargne adaptées aux situations individuelles. De fait, elle contribue au développement d’une véritable éducation financière et au renforcement du conseil qui sont nécessaires pour aider les épargnants à sortir de leur logique traditionnelle de performance à court terme.
Sylvie de Laguiche part du constat de la difficulté à transformer les placements risqués en fonds propres en produits d’épargne liquides à faible risque, tout particulièrement dans le contexte des taux bas actuels. Elle considère que les prêts participatifs de relance (PPR) mis en place en avril dernier devraient faciliter cette transformation. En faisant intervenir des banques et des assurances entre les entreprises et les épargnants, les PPR éviteraient la confrontation directe de besoins incompatibles en termes de sécurité et de liquidité. La concurrence entre ces intermédiaires et l’obligation qui leur est faite d’assumer une partie du risque dans leur bilan devraient avoir un effet vertueux sur la sélection des entreprises éligibles et la répartition équitable de la rentabilité et du risque.
Mathilde Viennot se demande plus prosaïquement comment mobiliser pour la relance les 200 milliards d’euros d’épargne de précaution accumulés par les Français durant la crise de la Covid. La difficulté tient moins à la persistance du motif de précaution, qui devrait s’estomper avec la sortie de crise, qu’à la concentration de cette épargne chez des ménages relativement fortunés dont la propension à consommer est faible et à l’inclination des ménages moins fortunés à privilégier le désendettement. Reste l’option d’une réallocation des fonds, des ménages fortunés vers les ménages moins fortunés, que l’auteur recommande d’opérer par le biais d’un impôt exceptionnel plutôt que par celui d’une incitation à la transmission telle que proposée par le ministre des Finances.
Olivier Mareuse tempère cependant l’enjeu lié au surcroît d’épargne liquide accumulée durant la crise de la Covid. Certes, la théorie voudrait que cette épargne ne serve guère à la prise de risque et soit donc peu efficace pour la relance. Pourtant, le modèle de transformation du fonds d’épargne de la Caisse des dépôts, qui centralise 59,5 % des dépôts sur les Livrets A et Livrets de développement durable et solidaire (dont on rappelle qu’ils ont attrait plus de 17 % des 205 milliards d’euros d’épargne liquide supplémentaire accumulée en 2020), transforme ces dépôts liquides en emplois de long terme, voire de très long terme. Une fraction substantielle de l’épargne liquide est ainsi, par ce biais, d’ores et déjà mobilisée au service de la relance par l’investissement productif.
Michel Didier considère aussi que la relance par l’investissement productif est clé pour adapter l’économie française au défi climatique et pour obtenir que, dans le processus concurrentiel, les forces de création l’emportent sur les forces de destruction. Pour attirer l’épargne vers les fonds propres des entreprises, notamment des entreprises non cotées à fort potentiel, et vers l’investissement de croissance, il recommande que cette épargne soit liquide et protégée contre le risque. C’est le principe des fonds d’investissement à capital garanti dont une « caisse publique » assurerait en tant que de besoin la liquidité. Par son effet de levier, une incitation publique de ce type serait beaucoup moins coûteuse et beaucoup plus efficace économiquement que des dépenses publiques directes.
Marc-Philippe Juilliard souligne le paradoxe de l’assurance vie française qui, avec un encours de plus de 1 840 milliards d’euros, représente une part considérable de l’épargne des Français mais qui est largement investie en actifs liquides et non risqués alors même que l’horizon des épargnants autoriserait des investissements plus dynamiques et mieux rémunérés. L’auteur constate toutefois une réallocation de l’assurance vie en faveur de la prise de risque depuis la crise de la Covid. Il impute cette évolution à la combinaison du lancement réussi du nouveau Plan d’épargne retraite (PER) et d’une plus grande maturité dans le comportement des épargnants et assureurs vie qui se détournent des fonds en euros au profit des fonds en unités de compte.
Nicolas Dubourg, Patricia Salomon et Nicolas Georghiou présentent la démarche originale de sept assureurs français dans le cadre du Fonds stratégique de participations (FSP). Ce fonds déploie en effet une stratégie d’investissement de long terme dans le capital d’entreprises françaises en phase de transition, leaders dans leur domaine et indispensables pour notre économie. En position d’actionnaire de référence, présent dans la gouvernance de ces entreprises, le FSP apporte ainsi son financement, à hauteur d’un volume total de 2,6 milliards d’euros, à des « mid-caps » françaises en phase de forte croissance ou d’adaptation compétitive et engagées dans des transitions économiques, sociétales, technologiques et environnementales importantes.