Entretien réalisé par Jean-Hervé Lorenzi, François-Xavier Albouy et Sandrine Lemery.
Risques : Au regard de la pandémie de Covid-19 qui dure depuis maintenant un an, comment analysez-vous la situation du pays ?
Laurent Berger : Nous traversons une crise sanitaire qui dure depuis plus longtemps que ce que l’inconscient ou le conscient collectif pouvait prévoir. Elle dure, avec un choix de départ délibérément assumé, pas simplement au niveau national ou européen, mais par l’immense majorité des pays du monde : le choix de protéger des vies humaines quel qu’en soit le coût. La santé n’est pas simplement la question du risque à l’épidémie. Il y a ceux qui souffrent de la Covid-19 mais également ceux atteints de pathologies dont les soins sont retardés en raison de la pandémie… Il y a l’idée qu’il faut également faire attention à la santé mentale de la population. Ce choix initial délibéré a été plutôt bien accepté, quoi qu’on en dise ; mais cela crée une situation économique, sociale, sociétale en forte tension. Tout est fait pour maintenir l’économie à flot – en tous cas pour que l’économie ne s’effondre pas brutalement –, pour maintenir le revenu des ménages, des travailleurs. Il y a le chômage partiel, les prêts garantis par l’Etat, l’accompagnement de secteurs professionnels particuliers, la poursuite – ces jours-ci – des dispositifs pour les travailleurs indépendants. Nous en sommes là.
Ces dispositifs illustrent deux choses : premièrement, nous sommes encore dans un Etat, dans un pays, où la puissance publique a un rôle important, et a joué son rôle. Ce n’est pas une puissance publique observatrice, comme on commençait à l’entendre ici ou là. Peu importe qu’on juge ce rôle positif ou pas, la puissance publique a joué son rôle ; deuxièmement, notre système de protection sociale est solide, et nous en mesurons les bienfaits. Je suis président de la Confédération européenne des syndicats (CES) qui regroupe 48 pays (pas tous de l’Union européenne) et je peux dire qu’en France le système social a été à la hauteur de ce que nous attendions. Mais ces deux éléments fondateurs de notre modèle social montrent leurs limites.
Risques : Après la gestion de l’urgence, vient le moment du débat. Quels en sont les enjeux majeurs ?
Laurent Berger : L’Etat, à lui seul, peut garantir un certain nombre de règles de fonctionnement, mais il ne peut pas mettre en œuvre les politiques décidées. On l’a constaté avec les allers-retours sur la vaccination. Je ne veux pas polémiquer sur cette question, mais on constate que l’Etat ne peut pas tout gérer. Le système de protection sociale, quant à lui, protège bien les inclus, mais pas très bien ceux qui sont à la marge du marché du travail tel qu’il fonctionne aujourd’hui. Cela ne veut pas dire pour autant qu’il n’y ait pas des mécanismes de rattrapage pour les publics hors du système.
Il y aura trois temps dans cette crise. Il y a ce moment de l’urgence, qui est géré. Il y a le moment du débat où il faut aller au-delà des questions économiques, sociales ; puis il y aura le moment de l’après. On ne fera pas l’économie du débat, notamment sur les sommes injectées durant la crise, sur les dispositifs mis en place, et sur les résultats. Il y a des « trous dans la raquette » pour les plus fragiles (tous ceux que notre système de protection sociale ne protège pas suffisamment) qui conduisent à un décrochage et à une paupérisation. Dans la façon de penser le rapport au risque, il faudra arrêter de penser les gens par catégorie sociale. Il faudra essayer de penser l’apport, la réponse à ce risque qu’ils vivent en termes d’épreuves traversées. En ce qui concerne les jeunes, le Premier ministre et la ministre du Travail n’ont cessé de me dire que les statistiques ne venaient pas vérifier ce que nous, la CFDT, mais aussi les associations observions, à savoir que pour un étudiant faire deux baby-sittings par semaine lui permettait de remplir son chariot. S’il ne les fait plus, il ne peut plus le remplir. On ne voyait pas que pour de nombreux travailleurs indépendants, c’étaient leurs ressources principales qui disparaissaient avec la crise. On ne voyait pas une partie de l’économie informelle…
Nous devons regarder ce que cette crise nous a enseigné sur notre modèle économique, notre modèle social, notre modèle de société, notre modèle démocratique.
Nous ne pouvons pas attendre septembre pour préparer l’avenir. Il va falloir débrancher progressivement les perfusions et gérer la post-crise avec des dispositifs de soutien qui devront être en phase avec ce que l’on veut faire du monde de demain. Nous avons eu la confirmation que la protection sociale n’est pas juste un coût mais qu’elle est un formidable amortisseur. On verra que la puissance publique aura peut-être intérêt à décentraliser un peu plus, notamment dans la mise en œuvre de ses actions. Ce moment devra être préparé. Ce moment va arriver en 2022, dans une présidentielle dont on voudrait que le débat soit élevé, et pas sur l’écume des choses.
Risques : Comment voyez-vous l’après-Covid ?
Laurent Berger : L’après-Covid ce sera le moment du rebond. Certains secteurs vont repartir très vite, il n’y a pas de problème. D’autres vont redémarrer plus lentement, l’aéronautique par exemple. D’autres vont être impactés par la transition écologique. Mais tous les restaurants vont-ils pouvoir redémarrer ? Non, nous le savons. D’ailleurs, en ce moment, le risque c’est qu’on « arrose le sable ». On arrose aussi le sable pour des entreprises qui continuent à faire du chômage partiel, pas dans le cadre des activités partielles de longue durée (APLD) comme prévu, mais du chômage partiel classique, alors que l’activité a repris. Au moment où la mer va se retirer, on va regarder réellement où en est la situation économique ; je pense que nous aurons de bonnes surprises, mais que nous constaterons que ce sera très long à redémarrer pour certains secteurs. Nous y verrons un peu plus clair sur l’action du chômage. Ce sera le moment où la deuxième génération des jeunes sortant d’études initiales arrivera sur le marché du travail (vers septembre-octobre). Ce sera le moment où les gens, après avoir serré les dents, et quoi qu’on dise, avoir respecté les conseils, vont souffler. Je le rappelle, les Français ont accepté la Première Guerre mondiale, malgré les facteurs qui portaient tous les jours dans les villages les télégrammes que les gens craignaient tant. Puis après ont suivi les Années folles ; les gens ont réappris à vivre. Mais ce sont aussi les années où sont montés les discours les plus radicaux.
Ce que nous traversons est une épreuve collective, et le débat public n’est pas au rendez-vous. La situation est dure économiquement et socialement. Nous ne sommes plus dans la situation de la sortie du premier confinement où tout le monde était euphorique. Il ne faudrait pas que la lassitude laisse place au ressentiment. On s’aperçoit que le risque n’a pas été le même pour tout le monde et a concerné des gens dont on ne parlait plus. Je pense notamment aux travailleurs de l’agroalimentaire, dont on a très peu parlé, mais qui ont été très présents. Cela a mis en exergue la façon d’appréhender les choses, pas simplement en termes de dispositifs, mais en termes d’accompagnement. Le grand enjeu, demain, des politiques publiques, des politiques sociales, et même des politiques économiques, n’est pas tant de trouver le bon dispositif – l’intelligence humaine est outillée pour le faire –, c’est de trouver les bonnes logiques d’accompagnement des personnes, mais aussi des entreprises. Nous sommes encore dans des logiques de silo. Je crois que c’est l’enseignement à tirer de cette crise.
Risques : Concrètement, que devrions-nous faire ?
Laurent Berger : A la CFDT nous préparons des propositions. Nous avançons l’idée que si nous voulons nous en sortir, il faut considérer les citoyens dans leur entièreté et ne pas les enfermer dans un statut, parce qu’ils ont la capacité et la volonté d’agir. Il faut redonner de l’initiative à des groupes, aux collectivités territoriales évidemment, qu’ils soient capables de s’en saisir. Mais il faut donner un axe, une vision : un peu plus d’égalité, ne pas accepter l’inacceptable, donner des marges de manœuvre, le droit à l’expérimentation. Contrairement à ce que nous avons pu penser à un moment, l’expérience « territoire zéro chômeur » fonctionne. Poursuivons l’innovation : un emploi vert pour tous, c’est un emploi vert ou un emploi du lien social. Ce sont des expériences comme celles-ci qui vont faire la transition écologique, qui vont lutter contre les inégalités.
Risques : Cette crise est une crise exogène, comme les crises agricoles des XVIIIe et XIXe siècles qui ont fortement marqué les esprits parce que l’on n’avait aucune prise sur elles. Elle ne provient pas de nos excès, comme en 2008. Le président de la République a utilisé une formule intéressante. Il a dit qu’il allait falloir « vivre avec ». C’est nouveau, et assez anxiogène. Quel est votre sentiment ?
Laurent Berger : Cette crise nous dit des choses sur notre rapport au risque en fonction de la temporalité. Le virus est là, la pandémie sera probablement condensée sur deux ans. Nous avons massivement réagi, de façon plutôt coordonnée au niveau international. Nous avons fait bouger les usages. Imaginez si on nous avait dit, il y a un an, que tout le monde allait porter un masque dans la rue ! Nous avons eu une prise de conscience collective d’un risque, et nous avons collectivement réagi. Le risque climatique, avec ses impacts économiques, en termes humains, en termes de santé, sera sans doute bien supérieur à terme, et sans doute l’est-il déjà aujourd’hui. Mais comme cela ne nous frappe pas aussi brutalement, notre réaction à ce phénomène n’est pas à la hauteur de l’enjeu. C’est vrai de la question climatique, mais aussi de la question sociale. Jamais on n’a autant parlé des inégalités qui se creusent, en termes d’éducation, de logement, de revenus. La pandémie a mis en lumière une capacité de réaction rapide et très forte des sociétés, plutôt positive. Mais nous constatons un risque d’endormissement collectif, sur des risques dont on ne voit pas les effets immédiatement, des effets beaucoup plus insidieux.
Risques : Le capitalisme responsable – c’est-à-dire la transition énergétique, mais aussi l’idée que l’entreprise doive servir la communauté – est-il de nature à cristalliser un renouveau sociétal ?
Laurent Berger : Si besoin était, la pandémie a confirmé l’utilité du dialogue social. Dans l’entreprise, il y a eu une prise de conscience sur la place fondamentale du travail et sur le fait que le travail n’est pas une compétence individuelle mais une forme de compétence collective. Ce n’est pas simplement l’addition de tâches, c’est plus complexe que cela.
Le sujet du capitalisme responsable, des régulations, va s’imposer de fait, maintenant. Mais la tentation de repartir comme avant est extrêmement forte. J’ai parfois l’impression dans certaines réunions, en écoutant les organisations patronales, que seules les entreprises ont des problèmes. Ce n’est pas vrai, les travailleurs aussi, les citoyens aussi. L’attitude de certaines chambres patronales sur la question des congés payés que les salariés auront à prendre lorsque l’activité repartira était scandaleuse. C’est la perception d’un salariat et de travailleurs qui auraient comme premier réflexe de prendre leurs congés payés. Cela a été très mal vécu. L’année écoulée a montré que les salariés étaient très attachés à leur entreprise. S’il devait y avoir un nouveau confinement, ils seraient de nouveau à leur poste, mais ils pourraient avoir le sentiment que la récompense ne sera pas au rendez-vous.
Certaines entreprises ont pris conscience de l’intérêt du dialogue social ; et on le voit, il y a eu beaucoup d’accords de reprise d’activité. On a une augmentation importante du nombre d’accords signés pendant l’année 2020, mais il y a une tentation pour certaines entreprises de revenir à la seule problématique de la productivité. Il va falloir faire de la productivité dans les entreprises, je n’ai aucun doute là-dessus, mais il ne peut pas y avoir que cela.
Cette crise nous incite à réfléchir différemment. Des entreprises sont prêtes à le faire. Il faut que nous prenions le temps de tirer les enseignements de cette crise : le travail et l’organisation du travail méritent d’être mieux partagés dans les discussions au sein des entreprises. Il n’y aurait pas de reprise d’activité si les salariés ne s’adaptaient pas en termes d’organisation du travail. Ils ont été responsabilisés « par force » sur un certain nombre d’éléments. Je doute qu’ils veuillent revenir à des organisations dans lesquelles ils n’auraient pas leur mot à dire. Certaines entreprises l’ont déjà compris.
Risques : Comment voyez-vous les transitions dans les domaines social, numérique et écologique ?
Laurent Berger : Cette crise nous apporte une bonne nouvelle : l’Europe fonctionne. Même avec des imperfections elle a été là et la présidente de l’Union européenne, Ursula von der Leyen, y a joué un rôle majeur. C’est important car la transition écologique se fera aussi au niveau européen. Nous devons fixer de grands objectifs et réfléchir au chemin pour y parvenir. La loi climat fixe des objectifs, mais ce ne sont pas les 150 citoyens qui vont aller rencontrer les travailleurs pour leur dire ce que cela représente exactement. Il va falloir d’autres acteurs pour dire que telle escale de compagnie aérienne ne va pas pouvoir rester à tel endroit, que l’impact de la transformation écologique sur l’automobile nécessitera des évolutions… Certes, des constructeurs ont commencé à y réfléchir, Renault notamment. C’est un enjeu fondamental du modèle de développement qu’il faut construire. Cette pandémie doit nous y aider. Nous avons vécu cette épreuve, il faut maintenant que nous inscrivions la transition écologique dans le développement économique. Cela fait consensus mais le chemin pour y parvenir doit passer par le dialogue ; au sein des entreprises, mais pas seulement. Nous avons proposé des amendements au projet de loi climat parce que négocier la transition écologique, la transformation du modèle productif dans les entreprises – pour qu’il soit plus vertueux – est de notre responsabilité. La transition écologique est liée, évidemment, à notre mode de production, mais elle est aussi liée aux usages de nos sociétés. Et cela se négocie au plus près des territoires, en regardant comment les choses peuvent être faites différemment.
La transition écologique est le sujet central. Le deuxième sujet, c’est la question des inégalités. On ne fera pas l’économie, en sortie de crise sanitaire, de la question de la répartition des richesses. On ne fera pas l’économie de l’évolution de notre protection sociale, ni du rapport au risque. On ne fera pas l’économie de l’analyse des risques, de déterminer comment on les couvre, ou comment on décide de ne pas les couvrir, et donc de leur financement. Cela va poser le sujet de l’avenir de la protection sociale et de son financement. La question également du financement de l’action publique : comment doit-elle s’organiser ? que faut-il abandonner ? que faut-il conforter ? Si on devait retenir un élément important de cette période, c’est que les enfants pour qui l’école n’était pas une difficulté, ont eu une espèce d’ascension plus importante en termes de connaissances, d’ouverture, même pendant la période du confinement. Aujourd’hui, heureusement, les écoles restent ouvertes. Mais tous les enfants qui avaient déjà des difficultés d’apprentissage ont plongé. Et cela ne se rattrapera pas. Notre modèle éducatif était extrêmement inégalitaire.
Troisième sujet : la transition numérique. La révolution technologique, dans le domaine qui est le mien, celui du travail, s’est faite rapidement. Cette période doit être un accélérateur de prise en compte des transformations gigantesques que nous sommes en train de vivre : transition écologique et révolution numérique. Cela doit être un élément fondamental pour regarder comment placer les curseurs en termes d’objectifs, comment trouver les régulations sur la question du numérique. Cela ne sert à rien de parler de transformation de notre modèle productif si on ne met pas en regard la question des compétences.
Il faudrait quasiment un nouvel accord mondial, d’une certaine manière, sur la façon dont fonctionne le monde. Un nouveau Bretton Woods ! L’Europe doit se consolider mais nous devons réfléchir sur sa gouvernance économique, sur l’évolution et l’harmonisation de son modèle social. Nous devons réfléchir également au niveau national et montrer que les organisations syndicales portent aussi des propositions. Les inégalités sociales sont un sujet majeur. Des logiques de sécession existent partout, et pas simplement de la part des plus démunis, de ceux qui seraient communautarisés, etc. Il y a aussi la sécession des plus riches, de ceux qui monopolisent le savoir… et puis il y a la question démocratique. Il faut que le débat en 2022 soit à la hauteur des enjeux. La question des compétences doit être un sujet central des transitions numérique et écologique. Il faudrait également aller plus vite sur la rénovation thermique des logements. Nous avons d’un autre côté certains territoires avec 15 % de chômage, et de l’autre un manque d’offres d’emplois ! Nous devons redéfinir ce que doit être le dialogue économique et social dans notre pays. C’est absolument indispensable.
Risques : Peut-on espérer une génération providentielle pour faire avancer les choses, comme en 1789, 1848 ou 1914 ? Ils avaient dix-huit ans.
Laurent Berger : Il faut écouter… notamment parce que la question de la transition écologique, de l’urgence écologique, on ne la porte pas de la même manière à cinquante ou soixante ans qu’à vingt ans. Il faut qu’ils aient des marges de manœuvre, des espaces de liberté pour décider ce qu’est leur vie… Evidemment, il va falloir se battre pour que le système des retraites soit pérenne. Il y a une autre aspiration. Pour s’en convaincre, il suffit de regarder la relation à l’emploi des jeunes (et aussi au travail) : c’est la quête de sens. Cela n’a rien à voir, en termes d’attachement, avec ce qu’était notre attachement à la recherche, par exemple, d’un CDI ou d’un emploi dans lequel nous allions nous projeter pendant quinze ou vingt ans. C’est autre chose. Il y a une capacité d’innovation étonnante.
Les épreuves que traversent les sociétés n’ont de sens et de capacité de rebond et de réinvention, que s’il y a une perspective qui les transcende. L’histoire de la reconstruction… et on n’est pas en guerre, on ne traverse pas les mêmes épreuves… c’est un moment où l’on recrée les conditions du commun, pour que ce soit mieux ou autrement. Qu’il y ait du positif. Le positif, cela ne va pas être plus pour tout le monde. Le positif va peut-être nous interroger sur nos façons de consommer, par exemple. Cela peut être vécu positivement par bon nombre de gens.
La société que nous devons penser doit intégrer la question du risque, redéfinir ce qu’est le commun, redéfinir ce qu’est la contribution des uns et des autres au bien commun. Certaines entreprises sont en télétravail quasiment depuis mars, et ne sont pas revenues au présentiel ; dans ces entreprises, on ne pourra pas dire aux salariés en septembre prochain de revenir en présentiel à 100 %. On ne pourra pas leur dire qu’ils n’ont pas leur mot à dire, qu’ils ont eu leur part d’autonomie et qu’on les remet sous pression. Je suis persuadé que l’organisation du travail devra être beaucoup plus qu’auparavant un sujet de discussion et de négociation. Il faut redonner une perspective collective, redonner de la capacité à agir et se préoccuper des plus fragiles. Il faut de l’assurance collective, de la mutualisation. Il faut coopérer.
Risques : Pourrait-on voir apparaître une dimension européenne de la protection sociale ?
Laurent Berger : Cela va venir, mais très lentement. Sur la question de la protection sociale, nous avons beaucoup de divergences avec les pays nordiques. Nous n’avons pas vraiment réussi à faire décoller l’Erasmus de l’apprentissage. Nous n’avons pas le même rapport au risque budgétaire. Et même syndicalement. C’est frappant. Il faudrait que nous allions vers un peu plus d’harmonisation sociale, qui nécessiterait un peu d’harmonisation fiscale aussi, et européenne, et nous arriverions à créer non pas les mêmes conditions pour tout le monde partout, mais un sentiment d’appartenance des citoyens à l’Europe, qui ne serait pas simplement l’espace de marché unique et de paix – ce qui est déjà extrêmement important.
Risques : La crise justement a-t-elle fait bouger les pays nordiques par rapport au modèle social ? Continuent-ils à assumer un modèle social minimum ?
Laurent Berger : On ne constate pas de changement. Pour eux, c’est la négociation collective qui fixe le salaire. Mais si nous n’imposons pas un salaire minimal par une directive aux Etats, il n’y aura pas de salaire minimum.