Quel rôle assigner à l’État dans la gestion des risques pour la France et comment le lui faire exercer ? Suivant la personne à qui vous vous adressez, vous obtenez une réponse très différente mais généralement passionnée car la réponse à cette question est une question politique.
Les textes fondant la Constitution française nous rappellent que la mission première de l’État est de permettre l’exercice de la souveraineté nationale et que celle-ci appartient au peuple. En particulier, l’État édicte le droit et rend la justice, garantit la sécurité et l’ordre publics, et définit et conduit les politiques de défense et des affaires étrangères.
Au-delà de son rôle régalien, l’État met en œuvre un choix de société et intervient comme opérateur ou régulateur notamment dans l’éducation, la santé, la protection sociale ou la culture (cf. les alinéas 11 et 13 du préambule de la Constitution de 1946). L’alinéa 12 du même préambule indique que « la Nation proclame la solidarité et l’égalité de tous les Français devant les charges qui résultent des calamités nationales ». La Charte de l’environnement de 2004 indique quant à elle que « lorsque la réalisation d’un dommage, bien qu’incertaine en l’état des connaissances scientifiques, pourrait affecter de manière grave et irréversible l’environnement, les autorités publiques veillent, par application du principe de précaution et dans leurs domaines d’attributions, à la mise en œuvre de procédures d’évaluation des risques et à l’adoption de mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage ».
Au-delà de la question des risques dont ils sont en charge, l’État, et plus généralement les pouvoirs publics, sont exposés en tant qu’opérateurs ou régulateurs aux risques classiques de toute organisation. Ces risques, qui peuvent être aussi bien stratégiques, tactiques, opérationnels que de conformité, sont susceptibles d’affecter tant le personnel, les équipements et les processus publics que les services rendus au public, avec des conséquences dommageables financières, réputationnelles ou macroéconomiques.
La question des risques et de leur gestion est donc bien une question publique. Pour la rubrique « Analyses et défis » de ce numéro de Risques, nous avons donné la parole à des auteurs principalement issus de la réassurance, qui nous présentent les enseignements tirés de leur pratique de la gestion du risque, appliquée à la sphère publique.
Patrick Thourot ouvre la rubrique avec une nomenclature des risques auxquels est exposé l’État et trouve que « du point de vue du risk management, la puissance publique met la charrue de la prise en charge financière avant les bœufs de la prévision en concentrant ses labours sur le sujet des risques extrêmes ». Il plaide enfin pour l’application à l’État des principes internationaux de gestion des risques et notamment pour la mise en place d’un « Chief Risk Officer » public.
Philippe Trainar et Patrick Thourot commentent l’étude du Conseil d’État de 2018 sur « la prise en compte du risque dans la décision publique ». Ils analysent le point de vue du Conseil d’État sur la réponse publique aux risques exogènes de la société et aux risques endogènes de l’État, responsable de son action, du point de vue de la prévention, de l’évaluation, de la gestion et de la réparation. Ils insistent sur les propositions pour développer une véritable culture du risque au sein de l’administration publique.
Bertrand Labilloy part de l’exemple concret de la couverture assurantielle des catastrophes naturelles et des attentats terroristes, progressivement étendue grâce au rôle de l’État qui intervient en dernier ressort comme garant de la couverture de ces grands risques. Il s’interroge sur la transposition de ce type de partenariat public-privé pour des risques tels ceux de pandémies.
Marie-Anne Barbat-Layani partage son témoignage de gestionnaire de risque public en présentant la gestion préventive des ministères financiers et leur cartographie des risques, et en illustrant la réalité de la gestion de crise au sommet de l’État.
Mais comment fait-on à l’étranger ? Bénédicte Dollfus nous fait part des expériences étrangères de Singapour, du Royaume-Uni et des États-Unis et nous rappelle que la Banque mondiale et l’OCDE recommandent depuis longtemps la mise en place d’une fonction de risk management pays et d’une gouvernance du risque au plus haut niveau de l’État.
Que faire après la crise du Covid-19 ? François Vilnet plaide pour une refondation du risk management public et invite à tirer les leçons de cette crise et à mettre en place de nouvelles structures centralisées pour identifier et gérer les risques dans un temps long.
David Dubois propose une définition de la gestion de risques par l’État centrée sur l’évaluation de l’impact possible des décisions publiques et nous engage à considérer le principe de précaution comme un principe d’action de l’État et non d’inaction.
Enfin, François Ewald et Laurence Barry nous invitent à repenser la question politique de la gestion du risque à la lumière de la crise du Covid-19 et du concept de biopolitique créé dans les années 1970 par Michel Foucault.