En février 2019, lors des 27es rencontres du risk management, une des plénières avait pour thème « L’Assurance demain : plateforme marchande de prévention ou investisseur régulé soutenant l’économie et le social ? ». Le sujet est vaste et illustre le large spectre que couvrent (ou pourraient couvrir à l’avenir) les métiers de l’assurance. Pourtant, ces derniers ont toujours fait l’objet d’une certaine méconnaissance de la part du grand public. À une époque où le sujet de la « raison d’être » des entreprises est de plus en plus au cœur des débats, celles qui officient dans l’assurance doivent améliorer leur visibilité et démontrer leur valeur ajoutée dans un environnement riche en opportunités – nouvelles technologies, changements de la société, nouveaux risques tels que le cyber, etc. – et en défis – changements réglementaires, risque de démutualisation, nouvelles attentes des consommateurs, utilisation des données, etc.
La rubrique « Analyses et défis » a choisi de se concentrer cette fois sur le métier de courtier. Le monde du courtage fait ainsi face aux enjeux précédemment évoqués mais de façon plus aiguë du fait de son statut d’intermédiaire dans la chaîne de valeur de l’assurance. Pourtant, en une décennie, les grands courtiers internationaux ont atteint une taille proche de certaines sociétés d’assurance en termes de capitalisation boursière, ce qui était difficilement prévisible. Récemment, face à mes interrogations sur ce sujet, un de mes interlocuteurs me répondait par une boutade que notre secteur souffrait encore de la permanence de Séraphin Lampion1 dans l’imaginaire collectif. Cette rubrique est une opportunité de plus de montrer un autre visage du courtier d’assurance. Elle nous permet de nous interroger à la fois sur l’histoire de cette profession et sur son avenir, face à un univers de risques et un monde de l’assurance en pleine mutation. Nous avons tenté de représenter le courtage dans toute sa diversité et de faire émerger les grandes tendances des transformations auxquelles il est confronté, à commencer par la concentration mais aussi l’innovation ou l’adaptation à de nouvelles contraintes réglementaires.
Robert Leblanc ouvre la rubrique et dresse un panorama très complet des différents métiers du courtage, de l’affinitaire à la prévoyance santé en passant par les risques d’entreprises ou le courtage de réassurance. Exemples concrets à l’appui, notamment inspirés de l’approche d’AON, il dépeint le courtier comme un créateur de solutions, que ce soit en matière de produits d’assurance, de capacités de transfert vers le marché de l’assurance ou de la réassurance.
Puis Pierre Martin revient sur l’histoire des courtiers depuis leur première apparition sous Henri IV – à l’époque, ils officiaient dans le secteur maritime – jusqu’à nos jours. Il balaie ainsi plusieurs siècles au cours desquels apparaissent de nombreuses mutations : les conditions de la concurrence, puis l’encadrement du métier, l’apparition des premiers syndicats nationaux, la construction européenne et la liberté d’établissement et de prestation des intermédiaires d’assurance, et enfin la mondialisation. Il conclut sur le fait qu’innovation et information nourriront sans aucun doute les prochaines pages de l’histoire du courtage.
Dans la continuité de celui de Pierre Martin, l’article de Philippe Carle vient illustrer l’histoire des courtiers par celle du groupe Marsh & McLennan Companies (MMC) qui débute en 1871. Elle est marquée par un ADN résolument tourné vers les risques plutôt que la distribution d’assurance et cadencée par de nombreuses acquisitions déterminantes, dont celle très récente de JLT. Elle apporte également un exemple concret de création de capacités avec la formation de l’assureur ACE en 1985 sous l’impulsion de MMC et JP Morgan.
Quel avenir pour les courtiers grossistes ? Laurent Ouazana nous propose une plongée dans ce métier peut-être encore plus méconnu que le courtage « traditionnel », et démontre sa valeur ajoutée tant vis-à-vis des assurés que des courtiers et des assureurs. Afin de maintenir cette pertinence dans le temps, le courtier grossiste se doit de rester le laboratoire de recherche des assureurs. Pour cela, il doit maintenir ses capacités d’innovation en saisissant les opportunités que constituent l’intelligence artificielle, l’abondance des données individuelles et les nouvelles technologies, sans renoncer à ses deux autres piliers que sont la concurrence et la mutualisation.
Julien Vignoli poursuit cette réflexion en s’intéressant aux trois missions du courtier en protection sociale et à leurs perspectives d’évolution. Les enjeux sont importants compte tenu des budgets associés à la protection sociale dans les entreprises. Longtemps fragmentée du fait des réglementations propres à chaque pays, la politique de protection sociale d’une société tend à se mondialiser, tant pour optimiser les coûts financiers que pour maintenir son attractivité face à la « guerre des talents ». Le courtier doit accompagner cette mutation et également celle de la donnée qui devrait permettre un pilotage beaucoup plus fin de ce type de solutions mais pose la question du risque de rupture de la solidarité collective.
Enfin Nicolas Canel clôture cette rubrique par une analyse de l’impact de l’inflation réglementaire sur les courtiers de proximité. Ils sont confrontés à une sorte de double peine. Eux-mêmes affectés par des réglementations propres au secteur de l’assurance et d’autres à portée plus générale, ils doivent aussi composer avec les assureurs qui, face à ce même environnement, ont pris des décisions opérationnelles fortes afin de protéger leur rentabilité. Les marges des courtiers de proximité sont ainsi doublement impactées. Outre la spécialisation des activités, l’industrialisation du métier et la concentration, un espoir réside dans la capacité des courtiers de proximité à peser sur l’instance représentative du courtage à venir dans le cadre de la loi Pacte afin que les futures réglementations se focalisent davantage sur la qualité du fond que sur le respect de la forme.
Bonne lecture !
Note
- Personnage célèbre des bandes dessinées Tintin, courtier pour les assurances Mondass.