À la question : « Quelle assurance pour les risques majeurs ? » les assureurs ont une réponse classique : « Il n’y a pas de risques inassurables, pour autant qu’on y mette le prix ». Or, comment évaluer ce prix, c’est-à-dire la prime annuelle à payer ? La réponse des actuaires, là aussi, est simple : « Il suffit de multiplier le montant des dommages redoutés par leur probabilité ». Mais lorsqu’il s’agit de dommages inhabituels, à réponse simple, mise en pratique difficile.
Les dommages peuvent être catastrophiques, de l’ordre de la centaine de milliards d’euros, voire plus en cas d’accident nucléaire ou d’inondation de la région parisienne comme en 1910, au point qu’aucune société d’assurance ou groupement de sociétés, même réassurées, ne pourrait faire face si les montants des primes n’étaient pas très élevés, donc difficilement supportables par les souscripteurs.
De même, sauf dans le cas des catastrophes naturelles fréquentes comme les inondations ou les tempêtes, les probabilités peuvent varier du simple au décuple selon le modèle d’estimation retenu ou la période d’échantillonnage disponible ; sans parler des risques pour lesquels l’historique est lacunaire, voire inexistant, comme dans le cas de certains risques émergents. Pis, la probabilité d’un risque peut ne pas être indépendante du montant des dommages redoutés, assurés ou non. C’est le cas par exemple des sinistres d’origine climatique, où l’augmentation de la population et de la valeur des biens dans des zones urbaines côtières, de plus en plus étendues, entraîne qu’un ouragan ou un tsunami a une probabilité proche de un de provoquer des dégâts, alors que quelques décennies auparavant, ce même ouragan ou tsunami ne rencontrait qu’une campagne peu peuplée et quasiment vide de constructions. La prime, dans ce cas, dépend de façon multiplicative des incertitudes sur les probabilités et sur les montants des dommages. Et à supposer que cette prime soit calculable, qui devra la payer : les victimes potentielles des catastrophes ? Les propriétaires des installations classées comme dangereuses ? Par le biais d’assurances privées obligatoires ou par le biais de taxes de solidarité, ou encore par une combinaison de mesures réglementaires de précaution, d’assurance, de réassurance et de solidarité publique ?
Les sept articles de la rubrique tentent de répondre à l’une au moins de ces questions. Les deux premiers, de Pierre Martin et d’Eric Defretin, analysent l’histoire des inondations, notamment celle de 1910 dans la région parisienne, dont on sait qu’elle peut se reproduire avec des dommages encore plus élevés qu’à l’époque. Les deux articles suivants, de Paul Nunn et de Stéphane Pallez, élargissent le champ d’analyse à tous les risques naturels. Ils décrivent les conditions de leur assurabilité dans un contexte de croissance des risques naturels liée au changement climatique, dont on peut redouter des effets aggravants tant sur la fréquence des sinistres que sur leur sévérité. L’article de Jean-Louis Thébault fait le point sur le risque nucléaire et sa prise en charge par les exploitants et l’État, risque que la France ne peut négliger puisqu’avec 58 réacteurs installés, presque tous associés par deux ou trois, voire quatre sur un même site, notre pays est en quelque sorte un pays pilote dans la gestion de ce risque technologique. Anne-Florence Tastet fait le point sur le terrorisme et sa couverture assurancielle, dont les dommages matériels et en vies humaines, depuis le 11 septembre 2001, ont pris des dimensions gigantesques. L’article collectif enfin de Céline Grislain-Letrémy, Reza Lahidji et Philippe Mongin, fait la synthèse sur l’association de l’action publique et de l’assurance privée tout en proposant des évolutions susceptibles de favoriser la couverture à moindres coûts des risques majeurs.