« The contribution of the many to the misfortune of the few. »
Telle est la devise des Lloyd’s, qui ont été créés à Londres en 1688. Elle reste d’actualité car elle porte en elle un des principes fondateurs de l’assurance, la gestion collective des risques par adhésion volontaire à un groupe : la mutualité.
Un autre principe fondateur réside dans la gestion de cette mutualité, qui doit se faire sur des bases scientifiques ; il s’agit en quelque sorte de la solidarité éclairée par les mathématiques. De ce fait, un grand pan de l’activité des assureurs consiste à rechercher des critères dont l’application conduira à des tarifs différents : c’est la segmentation.
Cette rubrique « Risques et solutions » analyse comment les évolutions récentes dans le domaine de la collecte et du traitement des données – ce qu’on appelle communément le big data – vont faire évoluer ou remettre en cause les principes de base de l’assurance que sont la constitution d’une mutualité de référence et le calcul actuariel des cotisations au travers d’une segmentation des risques.
La rubrique s’ouvre par l’article de Jean-Michel Lasry, qui en illustre parfaitement la problématique. Soulignant l’omniprésence de l’assurance et de la numérisation, l’auteur explique que leur rencontre est inéluctable et qu’elle produira de nombreux résultats souvent fructueux, parfois surprenants. Il analyse également comment le big data va bousculer les piliers sur lesquels l’assurance est fondée depuis son origine.
François-Xavier Hay s’interroge également sur l’impact du big data sur l’existence même du concept de mutualisation. Il souligne que si le développement de l’Internet des objets (IOT, Internet of things) va offrir d’énormes possibilités d’analyse des risques, pour autant, la notion de mutualité devrait rester centrale dans l’assurance sous la pression de la déontologie pour l’utilisation des données, de la volonté des consommateurs et de la diffusion de nouveaux produits d’assurance par abonnement.
Arnaud Chaput présente les travaux du pôle de compétitivité Finance Innovation sur la transformation numérique dans l’assurance. Ce travail collectif étudie les grandes dynamiques bouleversant le secteur de l’assurance, pour identifier les six axes stratégiques qui se déclinent en trente-cinq actions prioritaires.
En écho à cet article, Romain Durand étudie une des conséquences de la numérisation : la (quasi)-fin du papier. Cette révolution va transformer le secteur sur les plans organisationnel, culturel et concurrentiel, le sujet du fondement légal des contrats et des modalités de la preuve de leur existence restant particulièrement complexe.
Lucie Taleyson se penche sur les assurances collectives dans le domaine de la santé et de la prévoyance, c’est-à-dire les contrats qui couvrent les salariés d’une entreprise. Longtemps, les assureurs ont disposé de peu d’informations pour évaluer ce risque, mais les dispositions réglementaires et les évolutions techniques créent les conditions de l’utilisation du big data. À terme, devra se créer un équilibre entre une segmentation plus fine des contrats et leur nécessaire mutualisation.
Patrick Thourot, Jean-Marie Nessi et Kossi Ametépé Folly analysent l’impact du big data sur la tarification : réduction de l’asymétrie d’information, possibilité de mieux évaluer les comportements, donc de mieux tarifer les risques. Les auteurs considèrent que ces évolutions peuvent remettre en cause les notions classiques de mutualisation et de segmentation, même si toutes les questions de faisabilité et d’acceptation par les consommateurs ou les régulateurs ne sont pas tranchées.
L’article de Daniel Zajdenweber illustre un point particulièrement intéressant : la sélection d’assurés avec des risques identiques augmente la volatilité du portefeuille d’assurance. En conséquence, si l’utilisation massive de données permet de réduire l’asymétrie d’information et de mieux sélectionner les assurés, il faut, pour constituer des portefeuilles équilibrés, avoir des risques n’ayant pas tous les mêmes caractéristiques.
Enfin, Arthur Charpentier, Michel Denuit et Romuald Elie étudient au travers d’un exemple concret comment les stratégies de segmentation des tarifs influencent les marchés. Leur conclusion est mesurée. La tarification et la constitution de portefeuilles rentables restent un exercice complexe qui ne disparaîtra pas avec le big data.