Entretien réalisé par Jean-Hervé Lorenzi, Philippe Trainar, François-Xavier Albouy, Pierre-Charles Pradier et Daniel Zajdenweber
Risques : Le but de cette interview est de voir en quoi l’ACP a été le révélateur d’une évolution du contrôle prudentiel. Ensuite, de faire un point sur Bâle III et Solvabilité II. La réforme de l’ACP étant maintenant entrée en vigueur, quel bilan dressez-vous du contrôle de cette réforme du point de vue de l’assurance ? Vous vous souvenez que les assureurs avaient quelques doutes, à l’époque, sur le fait qu’il faille rattacher le contrôle de l’assurance à la Banque centrale. Après plusieurs mois d’expérience et de mise en œuvre, quels sont les premiers jugements que vous portez, le premier bilan que vous feriez de cette réforme ?
Danièle Nouy : Il ne nous avait pas échappé que les entreprises et les superviseurs d’assurance n’étaient pas totalement favorables à la fusion avec le contrôle bancaire. Nous avons essayé de leur démontrer qu’il était possible de continuer à exercer un contrôle de qualité des entreprises d’assurance tout en bénéficiant des avantages d’une autorité de contrôle renforcée par des moyens accrus et un adossement à la Banque de France ; j’espère qu’ils en sont maintenant convaincus. Avoir une vision complète du contrôle des institutions financières régulées est important. C’était déjà important avant la crise, ça l’est encore plus aujourd’hui. La crise a mis en lumière, de manière plus évidente, que les banques et les assurances entretenaient des relations étroites et complexes et qu’elles étaient confrontées à des risques communs qu’il devenait impératif de mieux appréhender, notamment en période de fortes turbulences économiques et financières. Vous disiez qu’il n’était pas évident pour les assureurs d’être rattachés à la Banque de France. Ce qui est courant, c’est que la banque et l’assurance soient contrôlées par le même superviseur. Si vous regardez l’expérience des FSA (i.e. Financial Supervisory Authority), c’est-à-dire des institutions de contrôle intégrées, elle concerne un grand nombre de pays dans lesquels les contrôles de la banque et de l’assurance se trouvent réunis. La proximité entre la supervision des banques et la banque centrale garantit un traitement optimum et coordonné des situations d’urgence en institutionnalisant les échanges d’informations entre les différents acteurs (qu’il s’agisse de l’expertise macroéconomique, de la mise en œuvre de la politique monétaire, de la surveillance des systèmes de paiement et de règlement ou de la stabilité financière dans toutes ses dimensions). Ce qui est devenu évident avec la crise, c’est que la supervision bancaire devait être très proche, voire intégrée aux banques centrales, au point que la Grande-Bretagne elle-même, qui avait lancé le mouvement de création des autorités de supervision intégrées en dehors des banques centrales, revient à une situation qui est assez proche de celle que nous connaissons avec l’ACP. Ce modèle est pertinent et nous sommes persuadés que nous faisons un meilleur travail de supervision ensemble – les contrôleurs des banques et de l’assurance – que séparément.
Risques : Avez-vous le sentiment que nous sommes dans un monde moins risqué aujourd’hui grâce au contrôle prudentiel ? Ou sommes-nous toujours soumis à des situations qui peuvent créer des difficultés majeures ?
Danièle Nouy : Nous avons vécu, nous continuons de vivre, une crise financière d’une grande violence. La crise dite des subprimes a été suivie de celle des dettes souveraines en Europe. Les entreprises financières évoluent dans un environnement très risqué. Une bonne supervision est donc absolument fondamentale. Une bonne régulation est bien sûr nécessaire et elle a été mise en place à la suite des demandes du G20 ; mais il reste maintenant, pour les organismes financiers et pour les superviseurs, à la mettre en œuvre. C’est là-dessus qu’il faut maintenant mettre l’accent pour rendre le monde financier un peu moins risqué, même si l’on ne supprime jamais totalement le risque.
Risques : Il est vrai que le risque est toujours imprévisible et la règle de portée générale ne peut pas tous les prévoir.
Danièle Nouy : Absolument. Encore une fois, la bonne régulation est essentielle, parce qu’on ne peut pas faire de supervision sans avoir les outils et les pouvoirs nécessaires. Les superviseurs doivent être à l’affût des risques qui pourraient survenir, être suffisamment curieux lorsqu’apparaissent de nouvelles opérations, des évolutions de marché, pour en analyser à la fois les bienfaits (car l’innovation financière est nécessaire), mais également les risques ; et, assez rapidement, il faut être en mesure de produire une analyse approfondie des risques et des avantages de ces nouveaux développements.
Risques : en matière de supervision, est-ce là où il faut progresser ? Avez-vous le sentiment que nous sommes dans une période où l’on va tenter d’améliorer le sujet ?
Danièle Nouy : En Europe, nous sommes en train de renforcer la supervision grâce notamment aux autorités européennes récemment créées : EBA (European Banking Authority) et EIOPA (European Insurance and Occupational Pensions Authority), pour les secteurs bancaire et assuranciel ; en plus de leur rôle en matière de régulation, elles sont de plus en plus présentes sur le terrain de la supervision. Avec ces nouvelles agences européennes, il y a un travail de régulation qui s’opère dans la préparation de standards techniques en aval des textes de niveau 1 et de niveau 2. Mais il existe de plus une volonté de s’impliquer davantage dans la supervision pour renforcer son harmonisation au niveau européen. Ainsi, nous faisions auparavant beaucoup de stress tests au niveau national. Nous en faisons maintenant aussi au niveau européen. De même, les collèges de superviseurs sont une réalité, et EBA comme EIOPA y jouent un rôle important. Le superviseur « home » (c’est-à-dire le superviseur du groupe) est responsable de la vie du collège et il lui faut démontrer que tous les risques ont bien été repérés et analysés ; sachant que les superviseurs « hosts », qui ont des agences ou des filiales de nos banques et de nos entreprises d’assurance sur leur territoire, ont intérêt à rechercher un très haut niveau de sécurité : ils veulent protéger, et parfois même « surprotéger », les institutions financières qui opèrent sur leur territoire. De la même façon, en tant que superviseurs « hosts » d’un certain nombre de grandes entreprises d’assurance opérant en France (Aviva, Generali, etc.) ou de banques étrangères, nous voulons nous assurer que les clients de ces groupes en France sont correctement protégés. Au niveau international, la vie des collèges et la coopération des superviseurs se développent également, mais un peu moins rapidement qu’au sein de l’Europe et de son marché unique.
Risques : Concernant la relation entre la supervision et la crise, pensez-vous qu’il y a un avant et un après la crise de 2008 du point de vue de la supervision, ou qu’on est dans une évolution qui a une certaine continuité ? S’il y a une différence, comment la caractériseriez-vous ?
Danièle Nouy : Pour nous, en France, ce qui est important, c’est à la fois la qualité des fonds propres des entités financières et la qualité de la supervision, et cela l’était bien antérieurement à la crise. La qualité des fonds propres, leur capacité à véritablement absorber les pertes en cas de difficulté sérieuse, c’est quelque chose de très important. Sous ma présidence, le CEBS (Committee of European Banking Supervisors), qui a été remplacé depuis début 2011 par l’EBA, a publié plusieurs rapports comparant la définition et la qualité des fonds propres dans les différents pays européens. Les écarts étaient considérables, la France se situant toujours dans les pays les plus rigoureux. La rigueur de la supervision en France est l’héritage de la crise financière très grave que nous avons connue dans les années 1990, avec notamment une crise de la promotion immobilière et de l’immobilier commercial. La supervision a été extrêmement rapprochée et est devenue plus rigoureuse depuis cette date-là.
Y aura-t-il un avant et un après la crise actuelle ? Les superviseurs sont d’une manière générale des gens trop pessimistes pour croire qu’on n’oubliera pas un jour les leçons apprises durant une crise. D’ailleurs, on a déjà commencé à oublier ces leçons. À Bâle, une définition extrêmement rigoureuse des fonds propres a été décidée (equity et réserves uniquement) ; mais, petit à petit, sont apparus, même si jusqu’à présent on y a résisté, de nouveaux produits : le contingent capital par exemple, des quasi-fonds propres qui, à en croire leurs créateurs, pourraient absorber les pertes presque aussi bien que du capital. On nous a expliqué que c’était un produit, une technique, qui ressemblait à ce qui se fait en matière de réassurance des catastrophes. Dans ce cas, il faudrait commencer par le dénommer « catastrophic capital » afin que les investisseurs comprennent parfaitement le produit dans lequel ils investissent. En revanche, « contingent capital » paraît plus séduisant : les investisseurs peuvent considérer que ces titres n’ont vocation à absorber des pertes et à devenir du capital qu’en cas de crise très grave et donc peu probable. Or, durant la crise actuelle, les titres hybrides, subordonnés et autres quasi-fonds propres n’ont que très rarement absorbé des pertes lorsque des banques en difficulté ont été nationalisées. La raison en est que leurs porteurs n’étaient pas des financiers que les opinions publiques avaient envie de punir, mais des épargnants qui détenaient ce type de titres, sans en connaître les risques (et en particulier la possibilité de devenir actionnaires d’une banque lorsque sa situation serait très détériorée), dans leurs OPCVM ou dans leurs contrats d’assurance vie. Avec le contingent capital, c’est la même chose. En Angleterre, dans les actifs des entreprises d’assurance, le contingent capital est classé comptablement en dette, comme une obligation. Les mêmes causes produiront donc les mêmes effets. Quand il faut gérer une crise bancaire, il est préférable en effet de ne pas y ajouter une crise des OPCVM ou une crise de l’assurance.
Risques : Aujourd’hui, on dit que la régulation est basée sur cette idée que les institutions financières doivent être sûres, avec une value at risk calculée à 99,5 %. Ce qui veut dire que le risque sur une entreprise ou toute institution financière est de l’ordre de 0,5 %. Est-ce que l’incertitude sur l’économie en général ne rend pas cet objectif quelque peu ambitieux en théorie ? Peut-on avoir la certitude d’avoir un monde de la finance dans l’avenir qui soit sûr à 99,5 % ? Ou est-ce que ce chiffre doit être plutôt considéré comme une règle du jeu, et moins comme l’affirmation d’une sécurité à 99,5 % du monde de la finance ?
Danièle Nouy : Le fait de dire qu’il est nécessaire de calculer et de couvrir les risques jusqu’à une probabilité d’occurrence de 99,5 % ne veut pas dire que le risque résiduel est égal à 0,5 %. Pour calculer les risques, on utilise des paramètres qui sont assez largement basés sur le passé. Nous sommes confrontés également à des risques d’erreurs dans l’appréciation de ces paramètres. Même lorsqu’ils sont correctement évalués, leur volatilité n’est pas totalement prise en compte. Bref, pour toute une série de raisons, il n’est pas possible de dire que le risque est éliminé jusqu’au 0,5 % résiduel. Faire les calculs sur la base d’une value at risk calculée à 99,5 % est ce qui paraît raisonnable avec les outils qui sont les nôtres actuellement, mais cela reste très insuffisant. Il faut également utiliser d’autres outils et, par exemple, faire des stress tests, des analyses de sensibilité… Mais, même ainsi, je ne crois pas que cela réduise le risque pour les systèmes bancaires et assuranciels à 0,5 % !
Risques : C’est tout de même comme cela que c’est vendu.
Danièle Nouy : Non, je ne crois pas ; et certainement pas par les superviseurs. Ainsi, pour calculer la VaR sur les risques de marché, on prend le chiffre calculé par le modèle, avec certes un niveau de confiance de 99,5 % ; mais ensuite ce chiffre est multiplié par 3 pour calculer les exigences en fonds propres qui en résultent. Au surplus, le superviseur peut, au titre du pilier 2, fixer un multiplicateur supérieur : 4, 5 et au-delà. Maintenant, avec la VaR stressée mise en place avec Bâle II.5, c’est-à-dire la CRD 3, on multiplie le résultat du modèle par 6. Nous ne sommes donc pas prisonniers des résultats des modèles mathématiques même si ce sont de bons outils, supérieurs à la méthode standard qui serait extrêmement grossière pour les opérations de marché complexes.
Risques : Nous avons publié dans cette revue un article sur les risques opérationnels dans les banques. Là, ce n’est pas 99,5 mais c’est 99,9 qu’on demande d’après Bâle III. Le résultat, c’est qu’il faut multiplier par 10 environ pour avoir à peu près une idée du risque à 99,9 par rapport aux normes habituelles. On arrive pour une banque à une VaR qui correspond à un sinistre qui coûterait 11 milliards de dollars. C’est à peu près le double de ce qu’a coûté l’affaire Kerviel.
Danièle Nouy : Apprécier le sinistre potentiel maximum est une affaire délicate et, avant l’affaire Kerviel, personne ne pensait que des pertes opérationnelles pourraient atteindre un tel montant.
Risques : Pour les économistes, le prudentiel est un peu à l’opposé (pense-t-on) de la sortie de crise. Trop de prudentiel crée finalement un problème de crédit, et plus généralement (on le verra avec Solvabilité II) des problèmes d’investissement dans des produits plus risqués. Pouvez-vous dire un mot de Bâle II.5 et Bâle III, et de nos amis américains aussi, qui ont l’air pleins de bonne volonté ?
Danièle Nouy : Bâle II.5 – ou la CRD 3 – est entré en application à la fin de l’année 2011. Les Américains devraient, si on en croit les derniers développements, l’appliquer au 30 juin 2012. Si ce n’est pas le cas, il y aura un problème concurrentiel ; mais ce sera le premier problème sérieux dans ce domaine, car Bâle I demande plus de fonds propres que Bâle II qui n’a pas été appliqué par les États-Unis. Il n’y avait donc pas de distorsion de concurrence à ce titre. Bâle III se caractérise par, d’une part, plus de fonds propres et de meilleure qualité, d’autre part, des règles exigeantes en matière de liquidité et de transformation. Je crois que les Américains sont décidés à l’appliquer, mais l’Europe doit rester vigilante à cet égard.
Risques : Pour les économistes, plus que les fonds propres, ce sont les liquidités qui importent. Cela joue sur le financement de l’économie de manière évidente. C’est un équilibre à trouver.
Danièle Nouy : Comme l’ont montré les études d’impact du Comité de Bâle sur les nouvelles normes de capital et de liquidité, plus de régulation revient à accepter un peu moins d’efficacité économique pour bénéficier d’un peu plus de sécurité et de stabilité financière. Quel est le bon équilibre ? Nous travaillons encore sur ce point, notamment pour la partie liquidité de Bâle III. Des études d’impact sont en cours et leurs enseignements seront pris en compte d’ici l’entrée en vigueur du ratio de liquidité à un mois, en 2015.
Risques : Au fond, le problème pour un économiste c’est que la banque est une source de risque en elle-même. Mais elle comporte aussi un aspect miroir, car elle est le reflet de l’économie qui l’environne, beaucoup plus que ne l’est une institution comme l’assurance, sans parler d’une institution industrielle. De ce point de vue, la régulation ne peut pas éviter de toucher au lien qu’il y a entre la banque et l’assurance, ce lien passant par le crédit, le financement de l’économie. De fait, si l’on rend plus difficile celui-ci, on fragilise aussi la banque. Il y a là une passe étroite de la régulation, et n’y a-t-il pas un risque qu’en penchant d’un côté on crée de nouveaux problèmes ?
Danièle Nouy : Vous pensez aux déductions des participations d’assurance du capital des banques ?
Risques : Pas seulement, mais, de façon générale, à une vision trop restrictive sur les conditions d’attribution des crédits associée à une demande excessive de sécurité, à laquelle s’ajoute une vraie restriction du financement de l’économie, ce qui mettra la banque en difficulté.
Danièle Nouy : Le pire péril pour la bonne santé et le financement de l’économie, ce sont les crises financières. Il est donc important de rendre ces crises moins fréquentes et moins brutales. Cela aussi se mesure, même si ce n’est pas totalement scientifique. Plus de fonds propres de bonne qualité dans les banques et une meilleure gestion de leur liquidité par ces dernières diminuent les probabilités d’occurrence et la violence des crises. La réglementation précédente n’était pas assez sévère. Celle mise en place depuis la crise l’est davantage. La transition vers ces nouvelles règles doit être progressive ; c’est pourquoi, sur la base des travaux d’études réalisés par le Comité de Bâle, un délai allant jusqu’en 2019 a été fixé pour appliquer pleinement Bâle III. On ne va pas attendre 2019 pour commencer, mais on va appliquer, à partir de 2013, un « Bâle III réglementaire » qui comporte des dispositions transitoires ; l’application totale, le « full Bâle III », est prévue en 2019. Malheureusement, le temps des superviseurs n’est pas le temps des marchés. Les banques françaises ont été soumises à une pression très brutale sur leur refinancement, notamment en dollars, au deuxième semestre 2011. Pour desserrer cet étau, elles ont dû faire des déclarations faisant état de leur intention de respecter Bâle III selon un rythme plus rapide que le calendrier réglementaire. Certaines ont promis de respecter le « full Bâle III » début 2013, d’autres un peu plus tard, mais à chaque fois bien avant 2019. Cette absence de transition met une pression sur le financement de l’économie et oblige à faire un peu de deleveraging, c’est-à-dire de réduction de la taille des bilans et du hors bilan. Aujourd’hui, ce deleveraging, qui est loin de se traduire toujours par une réduction du crédit, c’est-à-dire du credit crunch, porte surtout sur les trading books, donc sur des opérations de marché et sur les actifs en dollars.
Risques : Quand vous mentionnez les études réalisées sur la mise en place de Bâle III en précisant qu’elles ne sont pas complètement scientifiques, vous pensez à l’étude de l’IIF ?
Danièle Nouy : Deux études principales ont été menées : une étude du Comité de Bâle et de la BRI (Banque des règlements internationaux) ainsi qu’une étude de l’IIF. Les conclusions de cet institut sont plus alarmantes que celles du Comité de Bâle, mais l’IIF avait un conflit d’intérêts ; on pouvait s’attendre à ce qu’elle démontre que ce que les superviseurs proposaient n’était pas raisonnable. Les travaux du Comité de Bâle et de la BRI, sur lesquels nous nous sommes appuyés, mesuraient le coût supplémentaire de Bâle III sur le financement de l’économie et estimait qu’une application progressive entre 2013 et 2019 donnait un résultat correct et raisonnable. Dans un certain nombre de cas, la mise en œuvre complète n’attendra sans doute pas 2019. Sous la pression des marchés, les banques ont fait des promesses qu’elles devront tenir ; mais encore une fois, ce sont surtout les opérations de marché, qui sont importantes dans les banques françaises, et les financements en dollars qui font les frais du deleveraging généré par l’accélération de l’application de ces nouvelles règles. À cet égard, vous avez certainement noté l’initiative d’EBA qui exige un ratio de 9 %, calculé selon la définition du Core Tier 1 de Bâle II (c’est-à-dire les mêmes éléments que dans la définition de Bâle III, mais sans les déductions à opérer sur le capital et les réserves) et en valorisant au prix de marché la dette souveraine européenne, qu’elle soit logée dans le banking ou dans le trading book et quel que soit son traitement comptable. Donc, sous la pression des marchés, le superviseur européen a déjà en partie anticipé les exigences de fonds propres de Bâle III. Mais l’impact possible de cette initiative sur le financement de l’économie, le risque de credit crunch en Europe, a été regardé de très près. Les collèges de superviseurs européens se sont réunis et ont examiné les plans de recapitalisation des banques européennes. Chaque superviseur « host » a regardé si ces plans comportaient des diminutions de crédits dans son pays. Et si cela avait été le cas, ils auraient demandé une médiation de l’EBA. Je constate par ailleurs que les chiffres de la Banque de France ne montrent pas de baisse du taux de satisfaction des demandes de crédit, notamment vis-à-vis des PME. Certes, ce crédit est plus cher qu’avant la crise. La liquidité était alors considérée comme abondante et gratuite ; cette période est révolue et la liquidité est désormais facturée, renchérissant le coût du crédit ; mais il n’est pas anormal que la liquidité et le crédit soient facturés à leur juste prix.
Risques : Quelles sont les principales forces et faiblesses de Solvabilité II ? Comment ces dernières pourraient-elles être corrigées au fil du temps ?
Danièle Nouy : Les forces, d’abord. Solvabilité II est un dispositif plus complet, parce qu’on regarde à la fois les risques qui sont à l’actif et ceux qui sont au passif. C’est une réglementation appliquée à la fois sur base solo et sur base consolidée, alors que Solvabilité I est moins complète sur les aspects groupe. C’est une réglementation harmonisée au niveau européen, ce qui est très important également dans un marché unique. On ne peut toujours pas faire de stress tests européens dans l’assurance qui soient comparables d’un pays à l’autre parce qu’il n’y a pas de benchmark commun. Il y a vingt-sept régimes différents de Solvabilité I en Europe. Par ailleurs, pour les groupes d’assurance d’une certaine dimension et portant des actifs et des risques complexes, la possibilité d’avoir recours à des modèles pour calculer les exigences réglementaires est une avancée certaine. Certes, il ne s’agit pas de s’appuyer aveuglément sur les modèles ; comme pour la banque, il faut sans doute incorporer des marges de prudence, mais ce sont des instruments utiles.
Quant aux inconvénients de Solvabilité II, il y a d’abord la volatilité. Apprécier en full fair value, avec un horizon de temps d’un an, le bilan d’un secteur qui se décrit lui-même comme un investisseur de long terme, ne va pas de soi. Le coût du passage à Solvabilité II pour les entreprises peut également être vu comme un handicap, mais c’est, je pense, le coût d’une modernisation nécessaire pour continuer à travailler dans un environnement devenu plus compliqué et plus risqué. Solvabilité II apporte une réponse globale : le pilier 2, avec ses règles de gouvernance, et le pilier 3, avec une information de marché de meilleure qualité associée à une information des superviseurs plus abondante et plus précise, constituent un progrès sensible.
Risques : Vous avez une longue expérience de la régulation, nous en avons sur l’économie. Pensez-vous qu’un vote de la directive Omnibus II soit compatible avec une entrée en application de Solvabilité II telle qu’elle était prévue en 2014 ? N’est-on pas en train d’essayer de gagner du temps ?
Danièle Nouy : Il y a deux questions : le calendrier et le financement de l’économie. Pour le financement de l’économie, un des principaux points mis en avant par la France a été le traitement des actions. Nous n’avons pas obtenu le traitement que nous souhaitions, mais nous avons obtenu tout de même un certain nombre de choses, par exemple le mécanisme de l’equity dampener ou les mesures transitoires sur les actions, qui ont quelque peu amélioré le traitement des actions.
Je reviens maintenant à la question du calendrier de l’entrée en vigueur. En effet, le vote d’OMB2 a régulièrement été retardé alors que la date d’entrée en vigueur est demeurée fixée au 1er janvier 2014. Si cette date peut paraître proche et irréaliste, il ne faut pas oublier que, du côté de l’industrie comme de celui des superviseurs, cela fait déjà plusieurs années que les évolutions liées à Solvabilité II ont été anticipées et lancées. Par ailleurs, il est prévu, outre les mesures transitoires citées précédemment, une année de transition en 2013, au milieu de laquelle les organismes devront remettre un premier dossier Solvabilité II aux superviseurs. Ce sera l’occasion d’échanges intenses entre les superviseurs et l’industrie, permettant l’accélération de l’appropriation d’un côté comme de l’autre. Aussi faut-il maintenir le momentum et se tenir prêt pour une entrée en vigueur début 2014.
Risques : Si l’on subit une récession, ce n’est pas très bon non plus pour l’assuré. On est dans un compromis difficile. Nous avons le sentiment que le cadrage n’est pas bien pensé et qu’on essaie de remettre la discussion sur la table.
Danièle Nouy : Vous avez raison sur le fait que des doutes subsistent ; en témoigne le fait que la cinquième étude d’impact a été réalisée sur un dispositif assez différent de celui de la quatrième.
Risques : Quels sont aujourd’hui, de votre point de vue, les principaux risques qui menacent l’assurance ? Certains parlent d’un retour de l’inflation, ils ont en tête qu’il y a une politique monétaire qui s’est traduite par une forte création de monnaie par les banques centrales, et qu’un jour ça pourrait exploser. On sait que la transition d’un équilibre à basse inflation à un équilibre à haute inflation est extrêmement dangereuse pour l’assurance. Doit-on s’attendre à une brutale hausse des taux d’intérêt (qui sont extrêmement bas aujourd’hui) ? À un scénario macroéconomique inverse, « à la japonaise », c’est-à-dire indéfiniment, pour les dix prochaines années, une rémunération insuffisante des actifs, qui posera un problème par rapport à ce qui était conçu initialement lorsque les contrats ont été vendus ? Ou, dernière hypothèse, que vous avez évoquée, au risque de rachat massif, lié à un double B ou un triple B de l’économie, qui pourrait secouer l’assurance vie ?
Danièle Nouy : Il est difficile de dire quels sont les risques à venir. Nous faisons des stress tests sur ces différentes hypothèses : inflation, hausse des taux, taux d’intérêt durablement bas, baisse sensible de la collecte en assurance vie… – de manière à voir quelles seraient les entreprises les plus vulnérables à certains risques. Elles ne sont pas toutes concernées par les mêmes.
À titre indicatif, nous faisons, à l’EBA et à l’EIOPA, des exercices d’identification des risques. Dans les plus récents, les risques sur les actifs et notamment les expositions souveraines étaient placés assez haut. Un autre risque cité était celui de taux durablement bas ainsi que celui d’un environnement faible et peu porteur (weak business environment).
Crédit photo : © 2019 Agence France-Presse