Entretien réalisé par Jean-Hervé Lorenzi, Arnaud Chneiweiss et Philippe Trainar
Risques : Pouvez-vous nous expliquer le projet Iter ?
Bernard Bigot : Il est extrêmement simple. C’est essayer d’apporter une réponse de très long terme à la problématique de l’approvisionnement énergétique mondial. Près de 85 % de cet approvisionnement est assuré aujourd’hui par les combustibles fossiles : charbon, pétrole, gaz, lignite… Ce n’est incontestablement pas durable (au sens de plusieurs siècles) alors que la population mondiale continue à croître, et ce, quelles que soient les économies d’énergie que nous ferons. Depuis le lendemain de la Seconde Guerre mondiale, les physiciens examinent avec attention les possibilités d’utiliser la ressource offerte par la fusion de noyaux d’hydrogène. Le soleil brûle chaque seconde 600 tonnes d’hydrogène, non pas avec de l’oxygène, mais pour fusionner et produire de l’hélium. Ce phénomène, connu des physiciens depuis le début des années 1900, offre la possibilité éventuelle d’une production d’énergie avec les ressources naturelles dont nous disposons sur la terre pour plusieurs centaines de millions d’années, et ce dans des conditions intrinsèquement sûres. À un instant donné, vous avez deux grammes de combustible dans le réacteur : si un quelconque événement modifie les paramètres de fonctionnement de la réaction, la réaction s’éteint spontanément et immédiatement. Comme il n’y a que deux grammes de combustible, qui dégagent certes une forte puissance en fusionnant, il n’y a pratiquement aucune énergie stockée dans le réacteur. Il ne peut ni exploser ni dégager les énergies considérables qui entraîneraient de fortes températures et une fusion du réacteur.
C’est pourquoi, en 1985, Gorbatchev et Reagan se sont réunis à Genève et ont décidé de mobiliser les États-Unis et la Russie pour produire cette nouvelle énergie. Ils ont lancé un grand programme international, qui a été immédiatement souscrit également par l’Union européenne et le Japon. Entre 1985 et 2000, environ 250 physiciens et ingénieurs, sur trois sites (l’un au Japon à Naka, l’autre à Garching, près de Munich en Europe, le troisième à San Diego aux États-Unis), ont défini le dessin et réfléchi aux différentes innovations technologiques nécessaires pour pouvoir construire des machines capables de produire de grandes quantités d’énergie de fusion, avec un bilan global nettement favorable. C’est le projet Iter qui, en 2000, a été considéré comme suffisamment mature pour être engagé. En 2015, j’en suis devenu le directeur général. Aujourd’hui, ce projet réunit sept grands partenaires : Japon, Corée du Sud, Chine, Inde, Russie, Union Européenne, États-Unis, soit 35 pays qui se sont engagés pour 42 ans à développer une machine qui permettra de démontrer la production continue et massive d’énergie de fusion : si on alimente le chauffage du plasma d’hydrogène avec une unité d’énergie, Iter en récupèrera au moins 10 fois plus sous forme d’énergie de fusion. L’objectif est d’en récupérer à terme au moins 50 fois plus.
Ce projet est complexe, car nous devons utiliser des forces magnétiques considérables pour confiner un plasma porté à 150 millions de degrés (10 fois la température du cœur du soleil). Nous sommes obligés de construire une grande cage magnétique de manière très précise. Elle sera la plus grande jamais construite : un cube de 20 mètres de côté. Avec de telles forces magnétiques, en canalisant correctement le champ, on soulèverait le porte-avions Charles de Gaulle. C’est un véritable défi technologique.
Risques : Vous parlez d’un horizon à 42 ans. Quel est le planning ? Où en êtes-vous à l’heure actuelle ?
Bernard Bigot : Le planning est le suivant. 2005, décision d’accord. 2006, accord international signé à l’Élysée. 2007, ratification et démarrage du projet Iter. Initialement, nous devions avoir le premier plasma en 2020 et la pleine puissance de fusion en 2025. Le projet a pris du retard. En 2013, le rapport sévère d’un auditeur américain préconisait un désastre si nous ne réformions pas profondément la gouvernance du projet. Sollicité par les sept membres internationaux d’Iter, j’ai alors accepté de prendre la direction générale de ce projet à la condition d’un changement profond de son mode de fonctionnement qui, maintenant, donne notamment au directeur général tous les pouvoirs d’arbitrage technique. Après un audit complet du projet, en novembre 2015, soit moins de sept mois après mon arrivée, nous avons présenté un nouveau calendrier. Premier plasma : 2025, plasma de pleine puissance : 2035. On ne peut pas faire plus vite. Cette revue a été auditée par des experts extérieurs indépendants, qui ont conclu que le travail que nous avions mené était un travail robuste et sérieux.
Le 17 novembre 2016, les sept grands partenaires ont validé le calendrier que je viens de vous donner, avec plusieurs jalons engageants jusqu’en 2035. Ils ont accepté d’apporter un complément financier de l’ordre de 4,5 milliards d’euros. Nous venons de sortir d’une période critique, où les risques du projet étaient maximaux. Ensuite, à partir de 2035, il faudra environ dix ans d’expérimentation à pleine puissance pour optimiser les conditions techniques et économiques de fonctionnement de la technologie choisie. En 2045, je pourrai – ou plutôt mes successeurs pourront – vous dire si ce sera rapidement industrialisable ou pas. Pendant ces dix ans, il faudra avoir réfléchi au premier démonstrateur industriel, lequel devra être capable de fournir de l’énergie électrique sur le réseau aux alentours des années 2055-2060.
Risques : À partir du moment où ce projet n’est plus uniquement le fait des États, mais devient un projet industriel, quels sont les risques (prolifération…) auxquels pourraient être exposés les industriels qui investiraient ?
Bernard Bigot : Aujourd’hui un industriel n’investit pas en premier lieu financièrement dans Iter, mais techniquement et industriellement. Voici une brève description de l’installation : une grande chambre à vide d’environ 1 000 m3, de 20 mètres de haut, un peu comme un pneu ou un tore, qui doit résister à un vide d’un millionième d’atmosphère. C’est une exigence de dimensionnement et de fiabilité considérable. À l’intérieur de cette enceinte à vide, on va introduire 2 grammes d’hydrogène. On va claquer cet hydrogène comme dans une lampe au néon pour créer un plasma, en séparant la partie noyau chargée positivement de l’électron. On obtient un plasma, que l’on va chauffer à 150 millions de degrés, c’est-à-dire 10 fois la température du cœur du soleil. On le chauffe en exploitant le phénomène d’interaction d’une particule chargée électriquement et d’un champ magnétique. Si vous vous souvenez un peu de vos cours de physique élémentaire, vous savez qu’une particule chargée électriquement, qui est à proximité d’un champ magnétique, saute sur la ligne de champ magnétique la plus proche (et a priori la plus forte), et s’enroule autour de la ligne de champ magnétique, un peu comme dans un escalier hélicoïdal. Elle progresse en s’enroulant et en accélérant continument. La température de 150 millions de degrés est une mesure de la vitesse des particules ; pour avoir cette vitesse, il faut des lignes de champ magnétique circulaires et suffisamment puissantes. Il faut donc une grande cage magnétique. Son champ magnétique est 300 000 fois plus élevé que celui de la terre, avec une forte puissance. Ces particules accélèrent fortement sous l’effet de divers apports d’énergie externes et comme il y a un vide profond, avant de rencontrer un voisin, elles ont largement le temps d’atteindre la bonne vitesse. Quand elles ont atteint la bonne vitesse, si elles rencontrent un autre noyau d’hydrogène, elles fusionnent immédiatement et libèrent une grande quantité d’énergie. Pour vous donner une idée, 1 gramme de deutérium tritium, c’est-à-dire d’hydrogène qui fusionne, dégage la même quantité d’énergie qu’en brûlant instantanément 8 tonnes de pétrole.
Aussi longtemps que l’on n’a pas démontré que l’association de toutes ces technologies innovantes répond à l’objectif que l’on s’est donné, le monde industriel a peu tendance à investir. Par contre, les entreprises souhaitent obtenir des commandes pour faire progresser leur propre technologie, que ce soit dans le domaine de la métallurgie, du vide, de la cryogénie, de la neutronique, de l’électronique… Toutes ces technologies vont être rassemblées dans le projet Iter. Songez que les bobines supraconductrices sont à la température de – 270 degrés. À quelques mètres, vous avez + 150 millions de degrés. C’est un ensemble de défis technologiques.
Quels sont les risques ? Sur le projet lui-même, le premier risque est politique. Ce projet ne peut se développer dans un temps raisonnable que si les sept partenaires mobilisent leur industrie, leurs compétences humaines, leurs ressources financières et leurs ressources industrielles. Le premier risque est que, si ce projet est mal géré, en dépit de l’intérêt qu’il présente pour les pays associés, ces derniers cessent la collaboration internationale dans laquelle ils sont engagés et qui est la condition du succès. C’est le risque qui a été couru jusqu’en 2013 et qui a justifié mon arrivée.
Le deuxième risque fort est le risque managérial : aujourd’hui, l’accord Iter est fondé sur le fait que 90 % des composants sont fournis en nature par les différents pays. Car chacun des pays a voulu apprendre une technologie majeure à laquelle nous devons faire appel. Ce sont 35 pays qui ensemble produisent les multiples composants nécessaires. Il y a actuellement plus de 8 milliards d’euros de commandes industrielles dans le monde ; 1 200 industriels, près de 40 000 personnes, participent aujourd’hui dans le monde au développement industriel d’Iter. Une énorme coordination est nécessaire pour que ces différents industriels satisfassent nos spécifications. Aujourd’hui, des pièces sont produites au Japon, en Chine, en Europe, en Russie…, qui seront assemblées ultérieurement par nos soins sur notre site. Il y a donc un risque managérial et industriel considérable.
Il y a aussi des risques techniques : on pousse les technologies au maximum de leur potentiel de performance et on peut éventuellement ne pas avoir un composant qui satisfasse les exigences. Certains composants vont demander quatre ans pour être fabriqués par les industriels les plus performants du monde ; par exemple, l’un des neuf secteurs de la chambre à vide. Certaines bobines supraconductrices mesurent 24 mètres de diamètre et doivent être construites au millimètre près. Si ces spécifications ne sont pas satisfaites, nous n’obtiendrons pas les performances attendues.
Ce projet est donc cousu de risques, mais en cas de succès – et nous faisons tout pour cela –, ce sera une rupture complète dans la problématique de l’approvisionnement énergétique mondiale. Premièrement, les matières premières pour fabriquer les combustibles, de l’eau et du lithium, se trouvent partout dans le monde, et il en faut des quantités infinitésimales. Un réacteur de 1000 mégawatts de puissance productrice d’électricité à partir de charbon, consomme 10 millions de tonnes de charbon par an. Le même réacteur de fusion de 1000 mégawatts consommera 350 kilos d’hydrogène. Il y a suffisamment de matières premières pour les centaines de millions d’années à venir. Deuxièmement, il est intrinsèquement sûr. Troisièmement, il ne rejette dans l’atmosphère que de l’hélium, qui est un gaz chimiquement inerte, non radioactif, et ce en quantités très faibles. Il n’y a pas de risque de prolifération. Il n’y a pas de matière fertile ou fissile. Il y a du tritium, mais il sera directement produit sur site. Il y aura quelques déchets nucléaires qui résulteront de l’activité des parois, mais qui seront à vie courte, à peu près une centaine d’années. C’est cette promesse d’une énergie pratiquement inépuisable qui fait que les pays, en dépit des difficultés et des risques, se sont engagés dans les conditions que je viens d’évoquer.
Risques : Vous décrivez des équipements d’une nature tout à fait particulière, dont nous ne pouvons pas être assurés que nous saurons les produire plus rapidement dans l’avenir, ou en quantités plus industrielles. En admettant que le projet réussisse, pourrait-il ensuite être industrialisé ?
Bernard Bigot : L’objectif de ce projet est de démontrer la faisabilité scientifique et industrielle. Aujourd’hui, comme tout équipement de recherche, ce projet a pris des marges maximales, et des dispositions multiples pour que l’on puisse faire varier les paramètres aussi largement que possible, afin d’explorer tous les champs du possible et définir les conditions optimales de construction et de fonctionnement. Mais les technologies dont je vous parle seront a priori – une fois que nous aurons fait l’expérience – industrialisables à grande échelle. C’est la raison pour laquelle les sept grands pays ont voulu absolument que leurs industries apprennent ces technologies. Par exemple, les bobines supraconductrices sont refroidies à – 270 degrés, et l’intensité du courant qui va les traverser est de 78 000 ampères. Jusqu’à maintenant, jamais personne au monde n’avait mis au point un câble qui garantisse une alimentation de 78 000 ampères. Comme ce sont des bobines supraconductrices, elles ne consomment pas l’électricité. Elle va recirculer en permanence. Aujourd’hui, ce sont les Chinois qui ont réussi à faire la démonstration de cette faisabilité ; ils sont en train de produire 12 kilomètres de conducteurs pour alimenter ces fameuses bobines. Autre exemple, on a besoin d’électrotechnique, pour pouvoir garantir la conversion d’électricité. C’est une petite entreprise coréenne qui a réussi à satisfaire les exigences de performance demandées. Cette même entreprise est en train de conquérir le marché de l’électronique de puissance dans l’ensemble du transport ferroviaire, car ils ont fait un saut quantique de performance. Du point de vue industriel, je ne suis pas inquiet. Si nous démontrons la faisabilité scientifique, technique, et l’opérabilité de cette technologie, elle sera rapidement industrialisable. Les bobines sont un investissement significatif, mais comme elles sont supraconductrices, elles peuvent fonctionner pendant 100 ou 200 ans. Il n’y a pas de limite. Au CEA1, des bobines fonctionnent depuis 35 ans sans aucun problème.
Risques : Quels sont les risques liés à la fusion de l’hydrogène ? Pour l’environnement, pour les hommes ?
Bernard Bigot : Le risque majeur est le risque d’incendie. Il y a une quantité extrêmement faible de combustible dans le réacteur (2 grammes dans 1 000 m3), avec éventuellement un stock de deutérium et de tritium hors réacteur. Si vous ne prenez pas les précautions qui conviennent, cela peut brûler et exploser au sens chimique du terme. Mais il n’y a pas de risque nucléaire. J’ai fait faire une étude par un cabinet assuranciel sur le maximum des dédommagements que nous aurions à couvrir si le risque d’incendie se produisait, avec une désassociation d’un certain nombre de composants (en particulier la fameuse chambre à vide), avec relâchement de tritium dans l’atmosphère, quoiqu’il en soit, ce sera en quantité faible, et de faibles quantités d’autres matières radioactives. Le coût maximal s’élève à environ 50 millions d’euros. C’est très peu comparé à ce que représente un risque industriel, par exemple une centrale de fission, ou un équipement de cette dimension dans le domaine pétrochimique.
Risques : N’y avait-il pas d’autres options, par exemple les énergies renouvelables ?
Bernard Bigot : Au cours de ce siècle, nous allons devoir abandonner la dépendance aux énergies fossiles (plus de 85 % aujourd’hui) dans laquelle nous sommes aujourd’hui. Les énergies renouvelables vont monter en puissance, mais elles ont un handicap intrinsèque : elles sont diffuses et intermittentes, et ce dans une société où il y aura 8, voire 10 milliards d’habitants qui vivront à 80 % ou plus dans les villes, avec un mode de production lui-même très concentré, requérant des investissements industriels considérables, ce qui exige la continuité d’approvisionnements énergétiques fortement concentrés. Pour l’instant, la solution, c’est le nucléaire de fission, mais il comporte des risques spécifiques comme chacun le sait. On estime qu’il y a 250 ou 300 ans d’uranium naturel utilisable au rythme où nous le consommons. Le nucléaire de fission produit aujourd’hui à peu près 6 à 7 % de l’électricité mondiale. Si, pour augmenter la production, je multiplie par 5, je divise par 5 la durée de vie de l’uranium naturel disponible, et j’arrive à 50 ans. La France peut tirer son épingle du jeu ; elle a tous les atouts pour cela, y compris parce qu’elle a de l’uranium appauvri, du plutonium, et qu’elle peut éventuellement faire fonctionner des réacteurs à neutrons rapides, qui lui offriraient une perspective de production d’énergie de quelques milliers d’années. Mais à l’échelle mondiale cette solution n’est pas viable. Je ne parle pas de l’éventuelle acceptation sociale ; cette solution n’est pas viable techniquement. Cela explique qu’en dépit de toutes les difficultés, ces 35 pays ont toujours souhaité poursuivre Iter, sous réserve que ce projet soit bien géré.
Risques : L’acceptation d’un tel projet par le monde politique, par la société, est un sujet majeur pour l’évolution du monde. Comment mettez-vous en application le principe de précaution ?
Bernard Bigot : Le principe de précaution est dans la Constitution. Nous avons développé des analyses très poussées pour prévenir toute critique. Personnellement, je m’efforce de répondre à toutes les sollicitations d’interviews ou d’articles, et explique les choses de manière ouverte. Le principe de précaution est de mon point de vue abusif. Évidemment, chacun doit prendre des précautions, mais il n’y a pas de développement (il n’y a même pas de vie) si l’on n’assume pas une part de risque. Que chaque personne qui prend des risques soit responsable de l’impact qu’elle fait subir potentiellement à la société est légitime. Mais l’ériger en principe fondateur derrière lequel tout le monde s’abrite, je pense que c’est une erreur stratégique. Dans ma carrière professionnelle, si je n’avais pas pris ici ou là des risques, je n’aurais rien fait. Et ces risques ne se sont jamais matérialisés, parce que l’analyse préalable qui en avait été faite avait conduit à prendre les mesures de prévention adaptées.
Risques : Dans un projet comme Iter, comment avoir une démarche précautionneuse – sans tomber dans les excès de la précaution –, qui permette de faire un tour d’horizon des choses que l’on connaît plus ou moins bien ?
Bernard Bigot : J’ai pris un engagement pour que ce projet entre dans un calendrier ambitieux et techniquement réalisable. L’enchaînement de l’ensemble des différentes séquences permet d’aboutir à une première étape décisive en 2025. Une énorme recherche des risques encourus, de toute nature, a été effectuée. Un risque n’a de sens que si vous pouvez envisager de le prévenir, sauf en cas de fatalité. Par exemple, certaines pièces vont arriver du Japon. Le risque est d’abîmer les pièces, qu’il y ait un problème au moment du transport, ou bien que le dimensionnement ne permette pas de faire les interfaces… Nous avons établi une large liste de tous les risques et de la manière dont on pouvait les prévenir, notamment en informant et en formant le personnel impliqué.
Risques : Avez-vous le sentiment qu’en matière d’énergie renouvelable le principe de précaution soit appliqué avec autant d’exigence ?
Bernard Bigot : Non justement, l’analyse faite pour les énergies renouvelables ignore pratiquement le risque, et surtout les opportunités. Lorsque vous avez réussi à dépasser un risque, vous créez une opportunité. Développer des parcs éoliens en mer à très grande échelle, sans avoir fait quelques prototypes pour démontrer l’optimum de cette technologie, fait prendre un risque considérable. Tout le monde ignore ce risque aujourd’hui. C’est la même chose pour le développement des parcs photovoltaïques ; on déploie à très grande échelle et à grande vitesse des technologies évolutives, censées fonctionner pendant trente ans ou plus, sans avoir pris le soin de vérifier, par exemple, la résistance des matériaux dans la durée. La culture du risque est très peu présente dans le développement des énergies renouvelables actuellement alors que bien sûr il faut en assurer le développement.
Risques : Tout grand projet peut avoir des retombées imprévues. Qu’en est-il du projet Iter ?
Bernard Bigot : Nous avions besoin de produire en grande quantité des matériaux supraconducteurs, de la variété niobium-étain, notamment. Nous avons été à même de lancer sept usines de production dans le monde. Pour la première fois, ce matériau est en train d’être utilisé et mis sur le marché pour l’IRM médicale. Les performances sont extraordinaires. D’autres exemples sont ceux de l’électrotechnique de puissance ou des techniques de soudure, sur de très grandes épaisseurs et des matériaux particuliers en toute fiabilité, qui ont pris du temps pour être mises au point, mais elles sont en train d’être réemployées dans de nombreux secteurs, que ce soit sur les chantiers navals, les sites pétroliers, le ferroviaire…
Note
- Le Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives.
Crédit photo : © ITER Organization