Peut-on réguler les dépenses de santé ? Posée ainsi la réponse à la question est évidente. Oui on peut réguler, puisque ces dépenses sont déjà régulées et même fortement régulées. Elles le sont en partie par des mécanismes assuranciels, sur lesquels nous allons revenir, en partie par des transferts entre populations aisées et populations moins aisées et pauvres et en partie par un ensemble touffu de réglementations publiques qui régulent les professions médicales, paramédicales, hospitalières, libérales ou salariées – autrement dit, tous les intervenants du secteur de la santé. Ce qui motive la question c’est l’augmentation tendancielle des dépenses de santé. Elles représentent aujourd’hui un peu plus d’environ 10 % du PIB et on voit que laissées à elles-mêmes, c’est-à-dire sans de nouvelles régulations, elles dépasseront ce seuil. Or, dans une économie dont le taux de croissance du PIB est faible, voire nul, et dont la population, certes croissante, vieillit d’année en année par l’augmentation de la part des seniors et des superseniors dans la population totale, augmentation liée à l’allongement de la durée de vie moyenne, le risque est de voir les dépenses de santé se développer au détriment des autres composantes de la dépense nationale, par exemple l’éducation.
Plusieurs tentatives de limitation de la croissance des dépenses de santé ont été essayées depuis quelques années. Les unes visaient à restreindre l’offre médicale par le biais d’un numerus clausus à l’entrée dans les facultés de médecine, comme si le corps médical dans son entier pratiquait une forme d’aléa de moralité (une augmentation des risques due à la couverture assurancielle). On sait que ce mode de régulation a contribué à appauvrir encore plus les « déserts médicaux » contre lesquels les gouvernements s’efforcent de lutter. Enfin, ce numerus clausus a été largement contourné par l’arrivée de médecins en provenance de l’Union européenne et même hors de l’Union. Quiconque a fréquenté récemment les hôpitaux a pu se rendre compte de la prégnance de cette main d’œuvre étrangère qualifiée. L’autre technique de régulation est de nature assurancielle. Elle consiste à freiner l’aléa de moralité des patients en leur imposant des franchises (ticket modérateur, délais de carence, franchises par consultation et par boîte de médicament, etc.). Mais ces franchises vont à l’encontre de l’objectif de redistribution des dépenses entre les revenus élevés, dont les cotisations sont élevées via la CSG et les revenus faibles, voire nuls, peu imposés. De fait, les cotisations du régime de base de la Sécurité sociale et les cotisations des mutuelles complémentaires ne sont pas calculées sur une base actuarielle. Si on le voulait, compte tenu des probabilités croissantes liées à l’âge de consulter au moins une fois par an un service de santé, les cotisations deviendraient inaccessibles à une large part de la population, tout comme les temporaires décès que les assureurs ne proposent pas, sauf exception, aux seniors de plus de 65 ans, tant les primes deviennent prohibitives.
L’augmentation des dépenses de santé, tant en valeur absolue qu’en valeur relative, est d’autant plus prévisible qu’en plus de l’allongement de la durée de vie moyenne de la population, les dépenses de santé sont liées aux progrès techniques de plus en plus coûteux. L’imagerie médicale en donne un exemple avec le passage de la radiographie au scanner puis à l’IRM ; les autres exemples étant la multiplication des implants cardiaques et des prothèses articulaires. Il en va de même dans l’industrie du médicament où les molécules efficaces contre certaines pathologies (hépatite C) ou les cancers sont le résultat d’années de recherches et d’expérimentations coûteuses. Enfin, l’annonce par le gouvernement de réduire le « reste à charge » des patients après les remboursements par la Sécurité sociale et leurs mutuelles ne peut que contribuer à l’augmentation des dépenses de santé.
Pour comprendre l’évolution tendancielle des dépenses de santé il faut comprendre le fonctionnement du cycle qui va de la cotisation au remboursement en passant par toutes les étapes médicales et paramédicales, hospitalières ou en ville. L’article de Christine d’Autume nous en donne une description chiffrée et détaillée. François Ecalle décrit plusieurs pistes pour limiter la croissance des dépenses de santé en jouant, entre autres outils, sur l’optimisation de la production de soins et sur la tarification des biens et services médicaux. Jean-Martin Cohen-Solal montre que les mutuelles, qui en France sont à la fois des assureurs et des producteurs de soins, disposent de plans ambitieux en vue de contenir les dépenses de santé, voire de les réduire, par exemple par des économies d’échelle et par la télémédecine. Didier Bazzocchi présente le point de vue des assureurs privés et montre que la régulation des dépenses de santé passe par un nouveau partage entre le service public et le secteur privé. Pierre François et Pierre-Yves Geoffard analysent tous deux les dépenses de santé en posant la question de leur utilité. Il n’est évidemment pas question de la remettre en question, mais au contraire d’en évaluer les coûts et les avantages tout en respectant le principe de solidarité. Joël Ménard a un point de vue radicalement différent de tous les articles précédents puisqu’il est une monographie et non pas une synthèse macroéconomique. Il s’agit d’une maladie à développement lent mais coûteuse par ses conséquences : l’hypertension artérielle. François-Xavier Albouy, enfin, décrit un système de santé embryonnaire, très différent du nôtre, celui des pays africains.