Le mot assurtech est désormais d’un emploi courant pour désigner les entreprises qui proposent des innovations à fort contenu technologique dans le secteur de l’assurance. La presse spécialisée a déjà exposé des cas d’usage à valeur exemplaire : des comparateurs de prix, des jeunes pousses aux modèles économiques innovants, fondés sur l’exploitation de données massives par l’intelligence artificielle, etc. Ces exemples mettent en forme notre perception de l’assurtech et de l’assurance de demain. Mais comme pour un tableau de Seurat, il faut prendre du recul pour que les touches de couleur se fondent dans un ensemble, pour saisir la vision de l’artiste. C’est à ce regard d’ensemble que Risques vous invite avec ce dossier.
Tout d’abord, Joëlle Durieux rappelle comment le terrain a déjà été arpenté par les livres blancs du pôle Finance Innovation, qui ont offert à intervalle régulier une vue cavalière du secteur, en étudiant des exemples d’entreprises et de technologies. Mais l’innovation s’accélère : en concentrant le tiers des investissements du monde entier dans les entreprises technologiques naissantes, le secteur de l’assurance est désormais à la pointe du changement, et il apparaît comme particulièrement attractif pour les jeunes diplômés.
Comment s’opère et se diffuse l’innovation ? Philippe Lepeuple montre que les assurtechs sont certes des vecteurs de la transformation du secteur, mais elles témoignent aussi des limites des processus d’innovation. En effet, tant que les assurtechs demeurent de petites entreprises qu’on absorbe, leur impact sur les métiers, sur les processus, sur les chaînes de valeur reste limité. Pour permettre une transformation radicale il faudrait, soit qu’une assurtech atteigne une taille critique pour avoir un effet systémique, soit qu’elle contribue à transformer l’ADN d’un grand assureur par une forme d’hybridation.
Les conditions d’une telle transformation radicale ne semblent pas réunies, comme en témoignent Eric Maumy, Fabrice Couturier, et Fabien Giuliani, qui illustrent par l’exemple des processus d’innovation incrémentaux.
Eric Maumy rappelle que le secteur semble moins touché par la révolution numérique que d’autres industries, où les modèles économiques ont été pulvérisés par le développement des technologies de l’information et des plateformes d’intermédiation, comme c’est le cas dans les médias, la vente à distance ou les transports. À l’heure actuelle, l’impact des assurtechs semble limité à des segments particuliers de la chaîne de valeur, en particulier les segments finaux dans la distribution, la relation client. L’innovation se concentrerait en particulier sur la relation entre les courtiers et les assureurs.
Fabrice Couturier évoque pour sa part les « micro-solutions » offertes par les assurtechs, dont la force réside dans la capacité d’innovation en continu, en adaptant à l’assurance des procédés nés parfois dans des domaines très éloignés de l’assurance. Les distributeurs tout en ligne et les cabinets de conseil en stratégie et en intégration de systèmes d’information apparaissent comme des vecteurs privilégiés de ces évolutions : ces acteurs de taille réduite peuvent explorer avec leurs clients dans la recherche de la performance et de la satisfaction client.
Par contraste avec les assurtechs agiles, le facteur taille peut constituer un frein à l’innovation. En considérant l’exemple d’Arkéa, Fabien Giuliani nous invite à considérer que la taille n’est pas un problème en soi : le réseau bancaire breton compte dans son vivier certaines pépites parmi les plus prometteuses, dont Leetchi, Fluo, Pumicin ou Masuccession.fr. Le positionnement d’un groupe de banque-assurance mutualiste comme premier investisseur fintech a de quoi surprendre. Il atteste de la réussite d’Arkéa à intégrer deux mutations structurantes de l’activité de bancassurance au cours des trente dernières années : l’essor des systèmes d’information (SI) et l’émergence d’une concurrence basée sur les usages.
Deux articles permettent de caractériser plus précisément le potentiel de l’intelligence artificielle dans l’assurance.
L’interview d’Eric Sibony permet de comprendre l’apport des méthodes d’apprentissage profond développées par Shift Technology. En matière de lutte antifraude comme de gestion de sinistres, avec la reconnaissance d’images, de substantielles économies sont possibles pour les sociétés d’assurance. Les risques semblent aussi contrôlés grâce à des machines qui savent désormais reconnaître leurs limites, au contraire des systèmes experts des années 1990.
Ces innovations ne transforment toutefois pas encore le modèle économique de l’assurance, comme l’argumente Pierre-Charles Pradier qui cite en exemple les jeunes pousses nord-américaines tout en ligne. Si elles profitent d’une conjoncture très favorable pour se financer, leurs résultats techniques franchement mauvais ne semblent pas devoir s’améliorer.
Puisqu’elles ne semblent pas se développer en dehors d’articulations ponctuelles dans les chaînes de valeur, on peut se demander s’il ne faudrait pas mener une politique de soutien aux assurtechs. Didier Warzée témoigne de l’intérêt du régulateur pour l’innovation et de son activité de veille. Il dresse ainsi une typologie des assurtechs, des risques auxquels elles s’exposent et pourraient exposer leurs clients. Ces difficultés sont toutefois sous contrôle, si bien qu’il ne paraît pas nécessaire de déroger aux obligations règlementaires pour les nouveaux venus, ni pour les surveiller, ni pour faciliter leur développement.