Dans quelle mesure peut-on parler d’Europe de l’assurance ? S’il s’agit de l’assurance de détail, bien qu’il existe des grandes tendances communes liées notamment à la numérisation, le consommateur ignore généralement le nom des assureurs des pays frontaliers du sien, comme les différences entre les contrats autochtones et les pratiques allogènes. L’échelle pertinente pour appréhender les marchés serait celle des États nations. Si on considère maintenant les assurances de spécialité et la réassurance dont les marchés sont à l’échelle du monde, les frontières de l’Europe paraissent cette fois trop étroites, comme elles le sont aussi pour l’actif des entreprises d’assurances qui a vocation à financer le développement économique sans exclusive. En quoi l’Europe offre-t-elle alors une échelle pertinente pour l’industrie de l’assurance ? Les consommateurs délivrés de la « carte verte » au 1er avril dernier ont oublié que ce document avait d’abord permis de circuler entre pays européens depuis le début des années 1950 : on s’habitue rapidement aux innovations favorables. Ainsi, quand l’Union a garanti la non discrimination dans l’accès à l’assurance (arrêt C-236/09 de la Cour de justice de l’UE) en application de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, puis corrigé les difficultés liées au contrôle des assureurs opérant, sous le régime de la libre prestation de service, en dehors de l’État membre où ils ont reçu l’agrément. Tout cela paraît si évident que c’est comme si le passé n’avait pas existé. Ainsi, vu d’un pays comme la France où le contrôle a une existence plus que centenaire et où les problèmes de jeunesse du secteur ont été corrigés dans l’entre-deux-guerres, les écarts à la norme peuvent exister, mais la norme prévaut sans ambiguïté : on s’étonne donc qu’il faille la changer pour faire place aux nouveaux membres de l’Union, dont la pratique n’est pourtant pas toujours exemplaire. Pour autant, peut-on les accueillir en leur demandant de choisir un État membre dont ils appliqueraient la réglementation ? Avec cette manière de faire, la loi allemande aurait prévalu à l’Est. Nous avons préféré saisir l’occasion offerte par l’extension de l’Union pour nous donner une loi commune : c’est un « projet de souveraineté effective » qu’il est bon de rappeler à l’heure où certains se proposent de défendre une prétendue identité oublieuse de l’histoire. Dans les domaines déjà exposés à la concurrence interne et internationale, l’harmonisation doit permettre de réduire les distorsions de concurrence entre les États membres (ce n’est pas une lubie mais un gage d’efficacité économique dans le temps), et de favoriser la compétitivité du secteur. Et justement, la compétitivité- prix du secteur est en raison inverse des charges administratives et notamment des redditions de comptes, tandis que la qualité de la régulation contribue à la compétitivité hors-prix : on voit aisément l’arbitrage dont l’optimisation est un art. Si on peut se féliciter de l’harmonisation du cadre prudentiel et de la robustesse que procure sa mise en oeuvre, la disposition des agences européennes de surveillance à produire de la norme au fil de l’eau et des revues techniques, quinquennales comme le Gosplan de jadis, peut inquiéter. Oui, la qualité de la régulation est un levier de compétitivité, mais les initiatives du type « amélioration de la réglementation » ne conduisent pas à des résultats vraiment spectaculaires. En particulier, les réglementations générales (par exemple sur l’IA) et spécifiques au secteur mériteraient d’être articulées, ce qui est rarement le cas. Le rôle des assureurs comme investisseurs mérite une mention spéciale, non seulement parce que c’est une des clés de la réussite des transitions et du développement du secteur de la tech dans l’Union, mais encore en raison des enjeux d’éducation financière des ménages. Les technos se sont déjà saisi de l’Union des marchés de capitaux, sujet aussi nécessaire qu’invisible du public. En revanche, le consumérisme emprunte des chemins bizarres : si l’idée d’un critère ou d’un indicateur universel de performance des « produits d’investissement fondé sur l’assurance » est séduisante comme les universaux de la philosophie médiévale, la raison veut que l’on puisse offrir au client les produits dont il a besoin. L’universel est parfois « sans concept », comme l’a théorisé Kant, et il n’est pas certain que la recherche du concept ultime constitue la première attente des clients-électeurs. Heureusement, nous ne perdons jamais de vue l’intérêt du client, même et surtout quand c’est auprès du régulateur et du législateur qu’il faut le faire prévaloir ! Formuler les attentes des citoyens-consommateurs, c’est encore un service que l’assurance rend à l’Europe !
L’assurance européenne à la croisée des chemins Perspectives post-élections 2024
Lionel Corre, Associé, BCG
Malgré son apparente fragmentation, le marché européen de l’assurance est marqué par une communauté de valeurs, que la convergence réglementaire tend à renforcer. La régulation peut contribuer à la compétitivité du secteur et à la résorption du déficit de protection vis-à-vis des risques émergents, en organisant l’action concertée des acteurs publics et privés.
Les réassureurs européens dans une industrie globale
Richard Hewitt, Directeur Intelligence économique, Guy Carpenter
Laurent Rousseau, Directeur Général Europe, Inde, Afrique & Moyen Orient, Guy Carpenter
Le marché de la réassurance est mondial et il n’y a donc pas de « réassurance européenne » à proprement parler. Une spécificité, perceptible dès le XIXe siècle (capitalisme dit « rhénan »), s’exprime dans la Directive Solvabilité II, qui contraste avec les excès du capitalisme anglo-saxon. Dans ce cadre, les réassureurs européens ont su tirer les leçons des crises pour apporter des réponses à la gestion des risques extrêmes.
Comment l’assurance finance-t-elle l’économie ?
Thomas Béhar, Directeur financier groupe, CNP Assurances
Philippe Taffin, Directeur finance et investissements, France Assureurs
Conçu pour concourir au budget de l’État, le dispositif d’assurance-vie a su s’adapter récemment pour cibler les secteurs critiques du financement des entreprises. Les besoins de financement considérables de l’Union dans le contexte des transitions conduisent maintenant le Conseil, à la suite du rapport « Letta », à organiser l’Union des marchés de capitaux, avec les assureurs comme parties prenantes.
La stratégie européenne d’investissement de détail : l’assurance comme clé du succès
William Vidonja, Directeur du Département conduite des affaires, Insurance Europe
L’Union des marchés de capitaux doit aussi s’envisager du point de vue des citoyens-investisseurs : dans cette perspective, la stratégie d’investissement de détail est une opportunité unique pour les associer au renforcement de l’économie du continent. Le pragmatisme des réponses concrètes aux attentes des consommateurs doit toutefois primer sur la recherche esthétique de critères « universels ».
Solvabilité II ou la recherche d’un cadre législatif stable
Benoît Hugonin, Directeur des Affaires Prudentielles et Réglementaires, SCOR
La revue 2020 de Solvabilité II s’achève, même si des règlements délégués doivent encore préciser des amendements. La réglementation de la solvabilité semble entrer dans un régime de revue technique permanente, et on souhaite que la compétitivité du secteur soit au principe des évolutions à venir.
Révision de la Directive sur la distribution de l’assurance (DDA) : Faut-il encore renforcer régulations et contrôles ?
Patrick Thourot, Consultant, Observatoire Universitaire de la Réglementation de l’Assurance
La revue quinquennale de la Directive sur la distribution d’assurance manifeste une orientation consumériste et élargit considérablement le domaine du contrôle des assurances. La révision pourrait conduire à de nouveaux développements, de la mise en cause de la tacite reconduction au contrôle des frais et des tarifs, et à l’orientation contrôlée de l’épargne vers des investissements « durables » de plus en plus normés.
Quel droit pour l’intelligence artificielle ?
Tony Baudot, Avocat, Deloitte société d’avocats
Arnaud Raynouard, Professeur des Universités à l’Université Paris-Dauphine, chargé de l’animation du comité scientifique juridique du cabinet Deloitte Société d’Avocats
L’intelligence artificielle (IA) est un sujet majeur pour les entreprises technologiques et traditionnelles, y compris dans le secteur de l’assurance, qui la voit comme une opportunité de transformation. L’encadrement juridique au niveau européen par l’AI Act a le mérite de réguler l’IA, notamment sur le plan éthique. Il ne permet cependant pas d’appréhender tous les risques liés à son emploi.
L’assurance dans une Europe en mutation
Christian Pierotti, Directeur des Affaires Publiques Europe & International, France Assureurs
Hugues Ribière, Responsable des affaires européennes, France Assureurs
Si on lui reproche parfois une certaine inertie et une tendance à pénaliser la compétitivité de ses entreprises, l’UE découvre aussi que sa capacité réglementaire et l’attractivité de son marché peuvent faire d’elle, avec une once d’extraterritorialité, une actrice d’influence promouvant démocratie et durabilité. Il faut toutefois tirer les leçons des échecs pour orienter la manière de réguler vers le succès économique.