Entretien réalisé par Jean-Hervé Lorenzi, Arnaud Chneiweiss, Sandrine Lemery et Daniel Zajdenweber.
Risques : Aéma Groupe est né du rapprochement de la Macif et d’Aésio mutuelle afin de créer le premier groupe mutualiste de protection français. La Macif et Aésio mutuelle ont historiquement un ADN très mutualiste. Que devient cet ADN mutualiste avec le rachat d’Abeille Assurances ? Quelle en est la philosophie ?
Adrien Couret : La constitution d’Aéma Groupe a deux guides profonds. Le premier est la complémentarité entre les composantes du groupe Aéma, des composantes fondatrices, mutualistes, qui sont Macif et Aésio mutuelle, et puis ces nouvelles composantes, comme Abeille Assurances ou Ofi Invest, qui n’ont pas de structure juridique mutualiste, mais qui portent aussi des valeurs : un service vis-à-vis des assurés et une culture de l’engagement fortement ancrée dans leur histoire, notamment par l’investissement socialement responsable (ISR) et la responsabilité sociétale des entreprises (RSE). Cette construction s’est faite dans un souci de complémentarité de métiers : Macif a une dominante sur l’assurance de dommages, Aésio mutuelle une dominante sur la complémentaire santé, Abeille Assurances une dominante épargne, même si chacune de ces trois marques ne se résume pas à cela. Dans la philosophie du groupe, cette notion de marque est importante. Elle signifie que la force entrepreneuriale d’Aéma Groupe reste proche du terrain et que l’identification culturelle des sociétaires, des adhérents, des clients et des salariés passera en premier lieu par Macif, Aésio mutuelle, Abeille Assurances ou Ofi Invest. Dans cette construction du groupe, qui a une dimension évidemment prudentielle, juridique, une unité stratégique, un ADN de complémentarité, etc., il y a donc une volonté de décentralisation managériale et politique puisque la particularité des deux mutuelles fondatrices du groupe est d’avoir une organisation politique territoriale. C’est donc le premier aspect : cette complémentarité, cette dimension décentralisée, qui pour moi est un peu une façon de résoudre la contradiction, de la taille d’un côté, du mutualisme de l’autre. L’autre guide, c’est celui de la cohérence. Evidemment, ce projet construit par des mutuelles s’est fait entre acteurs qui avaient, certes, des différences et des complémentarités, mais aussi pour socle des valeurs communes : un ancrage fort dans la dimension mutualiste, pas seulement un ancrage de gouvernance, mais un ancrage pratiqué avec une vie militante foisonnante, une présence des délégués forte sur le terrain, une dimension également d’exercice réel de contre-pouvoir, entre la dimension politique et la dimension opérationnelle ; beaucoup d’éléments structurants forts, malgré les environnements d’appartenance qui sont très différents : d’un côté Aésio mutuelle, qui est l’aboutissement de plusieurs fusions de mutuelles du Code de la mutualité, et de l’autre côté la Macif, une société d’assurance mutuelle du Code des assurances qui a grandi plutôt par croissance organique depuis son socle d’assurance dommages. Ces deux groupes, dans leur vocation mutualiste, sont moins dans le versant affinitaire du mutualisme – la dimension corporatiste, socioprofessionnelle– que dans l’idée d’être là pour apporter une protection de bonne qualité, au plus grand nombre, avec une dimension d’accompagnement et de proximité qui résonne fortement dans la société d’aujourd’hui.
Le groupe se développe donc avec des marqueurs de complémentarité, de décentralisation, ce qui n’empêche pas d’aller chercher des synergies, et c’est ce que nous avons commencé à faire sur la gestion d’actifs, le réseau de soin, le tiers payant, les achats, la réassurance ; et puis une cohérence de valeurs, que nous cherchons à étendre aujourd’hui aux acteurs non mutualistes comme Abeille Assurances. Et où finalement sans être mutualiste dans ce format juridique, on peut aller convoquer des valeurs professionnelles, de proximité, de service, en plus de la dimension éthique et de RSE qui peut être une bonne façon également de chercher des éléments communs. On peut créer un projet de groupe aligné sur les valeurs mutualistes, sans forcément n’avoir que des entités mutualistes elles-mêmes.
Risques : L’idée de dépassement est intéressante.
Adrien Couret : La meilleure définition du mutualisme c’est « l’assurance des assurés « pour » les assurés « par » les assurés. » C’est l’analogie avec la définition de la démocratie. Elle se retrouve dans l’organisation juridique puisqu’il s’agit d’abord d’une organisation du pouvoir. C’est une gouvernance par les assurés, qui sont des sujets politiques. On les appelle sociétaires, adhérents, parce qu’ils ont ce droit de vote qu’ils acquièrent avec l’adhésion, et avec un principe électif, qui peut être pratiqué de façon très différente dans les mutuelles : élections de délégués de terrain, élection de représentants à l’assemblée générale, élection des administrateurs au conseil d’administration.
Cela veut aussi dire que l’entreprise est gouvernée par des personnes de la société civile et qui sont directement concernées par l’activité. A l’origine, les mutuelles sont toutes des entreprises qui systématiquement ont été créées par des collectifs socioprofessionnels, ou avec un enracinement géographique.
Risques : Plus précisément, comment créer un groupe mutualiste avec une ancienne filiale d’un groupe qui n’était pas mutualiste ?
Adrien Couret : Une mutuelle se crée autour d’un besoin, d’une garantie pour un public puis vient l’envie de mieux servir ce public en ajoutant d’autres réponses. Macif, en 1960, commence par l’assurance auto, puis va vers l’assurance habitation et enfin vers l’assurance de personnes. Aésio mutuelle, depuis la complémentaire santé, a choisi ensuite d’aller vers de la prévoyance. La question de gérer les pluralités de structures avec des pluralités de formats juridiques a accompagné l’expansion du projet mutualiste, qui n’a pas été simplement d’accroître le nombre de sociétaires, mais qui a été de vouloir couvrir un spectre large de besoins sur la base d’une relation initiale.
Nos clients ne nous demandent pas de réaliser des alliances mais leurs attentes, l’évolution vers le serviciel, les innovations qui changeront la donne demain pour une meilleure protection en matière de prévention, de rapidité de traitement des sinistres, la poursuite de la maîtrise des tarifs nous conduisent vers l’agrégation d’écosystèmes et de capacités d’investissement. Si nous voulons nous mettre concrètement en capacité de développer notre influence nous devons aussi grossir comme l’ont fait nos concurrents. Mais pour y parvenir, il y a un prérequis fort, celui de porter le même projet, notamment les mêmes valeurs, celui d’être aligné, sinon cela ne peut pas fonctionner.
Pour revenir à Abeille Assurances, les salariés que je rencontre depuis un an sont des salariés qui n’ont pas d’autres demandes que de bien faire leur travail professionnellement et de servir au mieux les intérêts de leurs clients. Le mutualisme est un terreau ; je ne veux pas l’idéaliser, mais en tout cas il offre la possibilité à des gens de bien faire de l’assurance sans être excessivement tiraillés par des objectifs de rendement.
Aéma est un groupe dont chaque composante garde son identité, notamment sa marque et son réseau. En revanche nous avons commencé à travailler sur les synergies d’utilité, de compétitivité. Nous avons commencé en santé, sur le tiers payant, le réseau de soins, les programmes de réassurance… tout ce qui « s’achète » pour réaliser une activité d’assurance. Au niveau des ressources humaines nous renforçons la mobilité intra-groupe afin de faire prospérer le potentiel humain à l’échelle d’un groupe de près de 20 000 salariés. Sur les sujets de réglementation, nous partageons pour essayer de trouver des réponses communes ; mais pour le business, l’activité de terrain, l’enjeu est ailleurs que dans la synergie. Au contraire, l’enjeu est de laisser l’initiative, d’attendre de la performance, au sens de la performance relationnelle, du développement, etc. C’est un choix managérial fort pour Aéma Groupe, dans un secteur où les groupes ont parfois tendance, eu égard à la réglementation, à vouloir mettre toute la diversité interne en coupe réglée. Or, en cas d’excès, c’est contradictoire avec l’efficacité sur le terrain. Maintenir la vitalité mutualiste, la proximité de terrain, le contre-pouvoir de gouvernance là où il est, s’articule mal avec une approche managériale trop descendante, et donc trop oublieuse des diversités qui ne sont pas que des diversités de métiers, techniques, etc., qui sont des diversités politiques. On peut créer un grand groupe mutualiste, mais la contrepartie c’est de cultiver – et c’est une gageure – une forme de décentralisation dans la conduite de l’activité.
Risques : Les entreprises mutualistes d’assurance vous semblent-elles suffisamment armées pour faire face aux enjeux liés à la transition écologique ?
Adrien Couret : A l’origine d’Aéma Groupe, il y a deux préoccupations stratégiques : la première était de s’assurer qu’il y ait demain dans un secteur de l’assurance qui va continuer à se concentrer, de vrais acteurs mutualistes dans les cinq ou six premiers groupes. Et que des vrais acteurs mutualistes comme Macif et Aésio mutuelle ne se retrouvent pas relégués contre leur gré en deuxième division. C’est un élément de marché, mais aussi de conviction par rapport à l’importance des apports du mutualisme, dans l’équilibre du secteur de l’assurance. La seconde préoccupation est de répondre aux enjeux de l’assurance de demain. Nous allons être pris dans un tiraillement car dans le monde de demain il y aura de plus en plus de risques, pour des raisons démographiques, écologiques, techniques et d’accroissement des personnes et des biens à assurer, et que ce besoin de protection croissant va se confronter à des problématiques d’assurabilité, qui vont générer des attentes nouvelles par rapport à l’assurance. Cela va générer une interpellation sociale de l’assurance de plus en plus importante, à la fois sur l’assurabilité mais aussi sur l’inégalité sociale devant le risque, un sujet qui a toujours existé mais qui va devenir de plus en plus prégnant ; et là, la mutualisation des risques ou l’extension de la mutualisation, qui est la solidarité, est un sujet sur lequel les questions de capacité financière et de taille comptent. Le rôle d’accompagnement face à ces éléments, l’accompagnement avant, avec la prévention, mais aussi pendant et après le risque pour aider les populations à se relever, en étant de moins en moins dans l’indemnisation financière et de plus en plus dans l’intervention directe dans la réparation, sont des sujets sur lesquels créer un grand acteur diversifié avec des capacités financières et des capacités d’investissement est un enjeu majeur. Et puis il y a la question environnementale, qui est un accélérateur de tout cela, l’assurance étant peut-être le secteur le plus exposé à cette dimension. Et cela conduit à réévaluer un volet du métier de l’assureur, la partie investissement et gestion d’actifs, qui longtemps n’a pas été considérée comme un volet du métier de l’assurance, en particulier dans le monde mutualiste où finalement les mutuelles sont nées dans le passif. Elles se sont créées dans la réponse aux besoins, elles se sont différenciées dans le passif, dans la façon de tarifer, de mutualiser le risque, de provisionner, d’apporter des éléments complémentaires dans les garanties. C’est en tout cas ce que nous voulons porter au travers du fait que nous sommes un groupe qui veut faire émerger, au travers d’Ofi Invest, un nouveau métier sur lequel nous avons un levier puisque nous représentons aujourd’hui à peu près 10 % de l’épargne des Français. La constitution d’Aéma nous donne un porte-voix extrêmement puissant pour porter ce qui me paraît être le prochain âge de l’investissement responsable tel qu’une mutuelle doit le porter et tel qu’une mutuelle, je dirais, peut seule le porter. Le prochain âge de l’investissement responsable pour les assureurs, c’est une forme d’activisme actionnarial. Le mot activisme est connoté parce qu’il a été totalement récupéré par des fonds prédateurs… Mais ce que j’aime dans la dimension d’activisme, c’est de mettre les choses sur la place et de se faire entendre. Notre indépendance nous le permet. Car nous nous gouvernons par nous-mêmes.
Risques : La création de groupes d’actionnaires permet de « changer le monde » en lui donnant une vision plus « économie sociale et solidaire ». Le rachat d’Abeille Assurances (et son activité de gestion d’actifs) entre-t-il dans cette logique ?
Adrien Couret : Tout à fait. Nous l’avons expérimenté depuis deux ans sur des dossiers emblématiques, à la fois pour expérimenter notre capacité à prendre des positions fortes et notre capacité à fédérer. Cela a notamment été le cas deux années de suite sur les résolutions « Say on climate » aux assemblées générales de Total. Nous sommes actionnaires de Total et nous voulons donner un sens activiste à cet actionnariat. Nous croyons que le monde de demain, pour réaliser la transition écologique, a besoin des grands énergéticiens d’aujourd’hui. Mais nous croyons aussi que ceux-ci doivent aller plus loin dans leurs trajectoires. Nous sommes également actionnaires de Danone à qui nous avons demandé le maintien des engagements d’entreprises à mission après le départ d’Emmanuel Faber. Nous ne sommes pas dans une logique d’exclusion a priori de champs d’investissement, mais bien dans une volonté de faire entendre notre voix et de peser sur l’avenir des sociétés où nous plaçons l’argent de nos assurés. Nous sommes en train de préparer la prochaine saison des assemblées générales de façon cohérente, pour montrer que l’on agit dans un sens favorable à l’activité d’assurance, et qui correspond aussi au sens que peuvent rechercher ceux qui nous confient leur protection ou leur épargne.
Risques : A leur création, dans les années 1960, les entreprises d’assurance sans intermédiaires étaient des outsiders. En quoi se différencient-elles aujourd’hui des entreprises traditionnelles ?
Adrien Couret : Lorsque les outsiders réussissent, il y a toujours un risque d’institutionnalisation, et ce côté un peu tranchant qui s’émousse, ou à l’inverse, et c’est ce qui s’est passé je crois pour les mutuelles, du marché qui a copié les recettes du succès : la mutualisation des risques, le fait de chercher des baisses de coût, notamment par la distribution salariée, et de challenger la distribution intermédiée par une distribution directe, de chercher l’industrialisation… Aujourd’hui 50 % du marché de l’assurance des particuliers est géré par des sociétés à forme mutualiste : en auto, en habitation, en assurance santé. Et cette institutionnalisation oblige à se poser de nouveau des questions fondamentales d’identité.
Sur les attentes des citoyens, sur leur interpellation quasi permanente devant les institutions, devant les entreprises, sur la question de notre alignement sur leurs intérêts, sur leur attente d’une économie plus humaine, nous avons des choses à dire et nous avons des preuves à montrer, mais nous n’en bénéficions pas. Peu d’assurés mutualistes revendiquent leur appartenance à un assureur mutualiste. Peut-être est-ce dû à la banalisation liée au fait que le secteur de l’assurance s’est de plus en plus réglementé depuis soixante ans, et que cette réglementation a tendance à emmener tout le monde dans un même tunnel ? Cela a été le cas pour les mutuelles santé, au tournant des années 2000, mais c’est devenu encore plus vrai avec la surcouche réglementaire européenne Solvabilité II. Solvabilité II a fait beaucoup de bien au secteur, mais c’est une réforme globale au niveau du marché européen et le mutualisme demeure encore un particularisme local.
Nous devons donc retrouver l’aspect tranchant des origines. Et ces éléments de conquête, je ne les situe pas tellement sur l’exercice du métier d’assurance, où il y a des enjeux de gestion de risque, des enjeux de service, des enjeux de technologie. Ce que nous devons essayer de reconquérir, ce sont les sujets sur lesquels la démocratie est aujourd’hui interpellée : les enjeux de transparence, cette notion de proximité aujourd’hui rendue difficile parce que nos entreprises sont devenues des entreprises complexes, souvent dans des environnements eux-mêmes complexes. Comment traverse-t-on ce mur de complexité pour retrouver une proximité avec les sociétaires, pour expliquer la protection, en quoi s’engager dans une mutuelle sert bien leurs intérêts ? Il y a une dimension d’exemplarité, la même que celle à laquelle la démocratie est aujourd’hui confrontée ; nous sommes des entreprises où les intérêts des assurés et des assureurs sont alignés, puisque ce sont les mêmes. Cela se prouve par une façon d’exercer le métier, par la façon dont on gère nos tarifs, par la façon dont on montre qu’on renonce à un profit puisqu’on ne verse pas de dividendes et qu’un bénéfice supplémentaire doit revenir aux assurés. C’est ce que nous faisons aujourd’hui dans nos entreprises au sein des mutuelles d’Aéma Groupe, par le déploiement de nombreux dispositifs de secours et de solidarité portés notamment par les élus, représentants des sociétaires et adhérents, présents sur le terrain et partout en France.
Enfin, il y a le renouvellement du « personnel mutualiste », dans tous les sens du terme, à la fois les représentants des sociétaires et adhérents, les enjeux de représentativité afin d’avoir une population de délégués qui soit engagée et représentative du sociétariat tel qu’il devient, les enjeux de diversité, les enjeux d’âge… Et c’est la même chose du côté des salariés ; la dimension mutualiste, à la Macif, n’est pas que l’affaire de 1 500 élus, et chez Aésio, de 500 élus, c’est aussi une adhésion qui imprègne fortement le corps salarié, qui se voit dans des éléments basiques comme la fidélité, qui est extrêmement forte, souvent au-dessus de la moyenne de la fidélité et de l’ancienneté des salariés du secteur. Il y a aussi une dimension d’engagement fort de nombreux salariés pour des causes sociales, écologiques ou sociétales. Cette idée qu’il y a un supplément à l’engagement strictement professionnel. C’est un élément fort, un élément que l’entreprise doit formuler et accompagner.
Risques : Le mutualisme a donc bien un avenir ?
Adrien Couret : Evidemment, il a même une opportunité extraordinaire avec ce questionnement profond aujourd’hui sur le rôle de l’entreprise dans la société. Tous les défis strictement assurantiels sont les mêmes que ceux des autres entreprises – comment gérer une relation client, la data, la prévention, etc. ? Mais les défis inhérents au mutualisme touchent à cette origine, à cet ancrage, du fait que nous sommes à la base des entreprises démocratiques. Cela peut être notre différenciation, et c’est là que nous sommes mis au défi aujourd’hui.
Risques : Pour conclure, comment voyez-vous l’assurance de demain ?
Adrien Couret : J’observe que les disruptions promises depuis dix ans par les Gafa ou l’insurtech n’ont pas eu lieu. Nos concurrents sont restés les banques. Le « tout technologique » n’a pas produit les effets attendus. Néanmoins, c’est un aiguillon. Nous investissons beaucoup sur l’usage de la data, la digitalisation, la tentative d’inclure des services connexes à l’assurance. Mais je pense que nous allons devoir revenir aux fondamentaux de l’assurance pour répondre à l’accroissement des besoins et aux enjeux d’assurabilité. Nous le voyons au niveau de la réassurance, avec la réduction de capacités, avec les difficultés aujourd’hui sur l’assurance collective, avec le changement climatique. L’interpellation ne sera plus technologique, elle va devenir sociale ; tous nos métiers vont être socialement questionnés. La question de l’assurabilité ou de l’accessibilité (qui est un autre versant de l’assurabilité) va être extrêmement prégnante, et c’est là où le modèle mutualiste a quelque chose à dire, en étant toujours pourvoyeur de solutions. Comment être toujours celui qui n’abandonne pas des territoires, des poches de risques, ou qui prend l’initiative d’aller inventer des solutions qui dépasseront les simples capacités du secteur privé ?
Notre rôle, c’est de mettre sur la table ces problématiques d’assurabilité, et de construire en conséquence. La prévention doit s’affirmer dans notre cœur de métier, peut-être aussi la maîtrise et l’intégration plus fortes de toute la chaîne de réparation ; c’est un vecteur qui est important. Et puis ce qui dépasse cette magnitude. La Covid-19 a représenté 200 milliards d’euros de coûts portés par l’Etat sur la partie interruption d’activité, soit l’équivalent de la totalité des fonds propres du secteur de l’assurance. Il y a donc des sujets sur lesquels nous devons venir devant les pouvoirs publics et dire : bâtissons un régime d’engagement public-privé. J’ai été très frustré que tout le monde reconnaisse que le régime Catex était une excellente proposition – les assureurs, les réassureurs, les représentants des entreprises, même les pouvoirs publics – mais qu’on ne le mette pas en place, parce que des politiques jugent à l’instant t qu’on ne peut pas demander une nouvelle cotisation. Nous devons porter la préoccupation du temps long.
Risques : Comment envisagez-vous le traitement du risque de dépendance, des risques cyber ?
Adrien Couret : Le plus grand risque systémique sur la partie démographique, c’est le couple autonomie/dépendance. Sur les arrêts d’activité, c’est ce que nous avons vécu avec la pandémie, ou ce qu’on pourrait vivre avec le cyber, et le risque de catastrophes naturelles, nous avons beaucoup de choses à apporter. Sur un premier niveau de solvabilisation d’abord, nous avons un rôle opérationnel que l’Etat peut avoir du mal à tenir, le rôle de préventeur, et puis celui d’apporter la réparation jusqu’au dernier kilomètre. C’est vraiment notre rôle d’opérateur, qui est très important. En revanche, on ne pourra jamais couvrir un méga-sinistre à 500 milliards d’euros. Aujourd’hui cela ne correspond pas à nos capacités économiques. Je crois qu’il faut le dire. Le secteur n’est pas insubmersible. Nous avons un rôle important à jouer pour couvrir les enjeux à venir, mais nous ne sauverons pas le monde entier. Ce sera forcément un effort collectif. Et là, les mutuelles, et Aéma Groupe en particulier, peuvent être des partenaires de confiance, parce que finalement nous n’avons pas d’autre intérêt à servir que celui-là.