Chacun d’entre nous a vu ou subi au moins une fois au cours de sa vie les effets du changement climatique, et les données observées depuis près d’un demi-siècle témoignent de l’aggravation des coûts économiques liés à ces phénomènes climatiques. Si le réchauffement climatique est une certitude qu’un large consensus scientifique confirme, la prise en compte de ses effets sur la fréquence ou l’amplitude des événements climatiques s’avèrent être un vrai défi. L’accroissement démographique et économique, la migration des populations vers des régions plus fortement exposées aux aléas climatiques, l’urbanisation ou encore les aménagements agricoles sont autant de facteurs qui peuvent avoir un impact plus ou moins significatif sur le coût économique des catastrophes climatiques. Il est donc essentiel pour les assureurs et réassureurs de pouvoir évaluer ces risques afin d’être en mesure d’apporter des solutions adéquates et efficaces aux besoins croissants de couverture de la part des assurés et de réduire ainsi le déficit de couverture assurantielle.
Les études et rapports les plus récents montrent par ailleurs que le réchauffement climatique a non seulement un impact sur les risques climatiques mais également un impact direct sur notre santé mentale et physique et un impact indirect au travers de ses effets sur la biodiversité. Cela montre la nécessité de mettre en place une approche globale et coordonnée pour développer la connaissance des risques climatiques, améliorer la transparence et le partage d’information entre les acteurs du secteur public et ceux du secteur privé et définir des mesures efficaces de prévention de ces risques sur le long terme.
Les articles proposés montrent la multitude des défis posés aux assureurs par les changements climatiques et explorent ces problématiques.
Emmanuel Garnier présente l’évolution de la couverture assurantielle au cours des quatre derniers siècles. Entre la moitié du XVIIe siècle, qui voit l’apparition des premiers signes d’une orientation vers un monde basé sur le rationnel plutôt que centré sur Dieu, et la loi du 25 juin 1990 qui a généralisé la garantie tempête, l’auteur décrit les grands tournants qui ont marqué l’assurance des catastrophes naturelles, influencés par les changements socio-économiques, les décisions politiques, les progrès des mathématiques et surtout les catastrophes elles-mêmes.
Les deux articles suivants s’intéressent au marché des insurance-linked securities (ILS). Hervé Castella, Benoît Liot et Sidney Rostand présentent en détail cette classe d’actifs, ses acteurs et ses avantages et limitations par rapport à la réassurance traditionnelle. Ils explorent ensuite l’impact de l’augmentation de la fréquence des périls secondaires au cours de la dernière décennie sur leur performance et la réaction du marché pour faire face à ces changements de risques. Richard Pennay et Catherine Bourland explorent les produits du marché des ILS et l’intérêt de ces solutions du point de vue de l’émetteur et de l’investisseur et présentent l’évolution de ce marché depuis l’apparition des obligations catastrophes il y a vingt-cinq ans. Si le marché ILS a prouvé sa capacité d’innovation pour suivre l’évolution des risques, il est aujourd’hui fortement concentré sur le risque dommages et notamment sur les tempêtes aux Etats-Unis. Le changement climatique, le risque cyber et plus globalement les risques émergents présentent un vrai défi pour le marché assurantiel mais peuvent également mener au développement de nouvelles solutions de transfert de risques pour contribuer à la réduction du déficit de protection assurantielle (protection gap) sur des périls et/ou régions spécifiques, donnant ainsi une perspective de croissance favorable au marché des ILS.
José Bardaji et Arnaud Chneiweiss montrent comment les fait observés dans les années récentes, les travaux prospectifs permettant de comprendre quels sont les facteurs qui influencent l’inflation de la sinistralité mais aussi la sensibilisation d’une partie de plus en plus large de la société aux risques climatiques, ont mené à la définition et à la mise en place de plusieurs initiatives pour protéger la population et éviter un déficit de protection assurancielle (protection gap). La question qui se pose aujourd’hui est de savoir combien de temps la mutualisation pourra perdurer dans le temps sans un plan d’action global incluant des politiques de prévention plus actives.
Daniel Zajdenweber revient sur le jugement présenté dans le numéro 115 de la revue portant sur l’importance de prendre en compte la croissance économique et démographique dans les régions exposées aux catastrophes climatiques lorsqu’on analyse leurs causes. La publication récente des données climatiques établies par la National Oceanic and Atmospheric Administration (NOAA) montre sans ambiguïté que l’augmentation de la fréquence des catastrophes climatiques depuis 1980 est plus forte que la croissance de la population et des richesses exposées à ces catastrophes ; cette croissance est donc la conséquence indéniable du réchauffement climatique global.
Jérôme Jean Haegeli et Patrick Saner décrivent les résultats d’une étude basée sur une approche par scénario permettant d’analyser l’impact du changement climatique sur la production économique et de tester la vulnérabilité des pays aux événements climatiques extrêmes et leur capacité d’adaptation. Dans un scénario de changement climatique sévère et en l’absence d’une action politique mondiale coordonnée pour rendre nos économies plus vertes, la baisse du PIB mondial pourrait atteindre 18 % d’ici 2050. Ces résultats mettent en avant la nécessité de la mise en œuvre rapide d’une stratégie d’intervention à l’échelle mondiale permettant d’atténuer le réchauffement climatique. Les assureurs, par leur capacité de transfert et de connaissance des risques et d’investissement à long terme peuvent contribuer à la transition vers une économie à faible émission de carbone.
Valérie Cohen analyse l’effet du réchauffement climatique sur la fréquence et l’intensité des aléas naturels à l’horizon 2050 et les conséquences sur l’évolution des dommages assurés sur le portefeuille multirisque habitation de Covéa. Si le risque tempête ne semble pas être impacté d’une manière significative par le réchauffement climatique, l’étude anticipe une augmentation importante des risques inondation, sécheresse et grêle, générant une augmentation de plus de 60 % de la charge liée aux sinistres climatiques à l’horizon 2050. Pour absorber cette sinistralité additionnelle et permettre de maintenir l’assurabilité de ces aléas climatiques, la prime catastrophe naturelle devrait atteindre 19 % à l’horizon 2040 (contre 12 % aujourd’hui). Une augmentation de 0,5 point par an sur le long terme permettrait d’atteindre ce taux en 2040 et pourrait être acceptable par les assurés, ce qui faciliterait la sauvegarde de l’équilibre du régime des catastrophes naturelles. Cette vision à long terme de l’évolution des primes devrait bien entendu être adoptée tant par les assureurs que par les réassureurs pour permettre un développement rentable et durable. L’augmentation de la prime devra également être accompagnée d’un renforcement de la prévention afin d’augmenter la résilience de la matière assurable.
Laurent Montador, David Moncoulon, et Pierre Tinard décrivent la problématique de la prise en compte dans les modèles des changements climatiques dans un environnement où les risques évoluent constamment. Ceci est illustré par deux exemples de nouveaux enjeux pour l’assurance et la réassurance : les périls feux de forêt et recul du trait de côte. Aujourd’hui considérés comme périls secondaires, ces risques pourraient devenir majeurs à l’avenir sous l’effet du réchauffement climatique. Ces deux exemples montrent la complexité de ce type de risques et les difficultés de leur modélisation, actuellement encore à l’état de développement.
Alexis Garatti met en avant l’importance de l’intervention de l’Etat sur la résilience de l’assurance crédit lorsqu’un choc systémique majeur présente un risque de perturber l’ensemble de l’industrie d’un pays. La pandémie de Covid-19 et le conflit russo-ukrainien illustrent parfaitement les impacts potentiels de ce type de choc. Directement ou indirectement liés aux changements climatiques, les événements extrêmes récents montrent que le rôle d’assureur en dernier ressort de l’Etat permet d’éviter un défaut de l’assurance crédit, rôle qui risque de se manifester de manière plus fréquente face à l’augmentation des risques extrêmes.
Enfin, l’article de Cécile Maisonneuve présente les nouveaux enjeux relatifs à l’adaptation aux changements climatiques abordés dans le rapport du groupe de travail II du Groupement d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) qui met en avant l’interdépendance du climat, de la biodiversité et des populations humaines. Les changements climatiques peuvent entraîner des conséquences directes sur notre santé physique et mentale mais aussi indirectes liées à la perte de la biodiversité. L’approche sanitaire des questions climatiques sera donc forcément territoriale et nécessitera l’établissement d’une cartographie des risques à des niveaux suffisamment granulaires pour permettre la mise en place d’actions efficaces de prévention et de réduction de ces risques. Pour construire la résilience des territoires mais également celle de leurs habitants il est nécessaire que l’ensemble des acteurs publics et privés agissent d’une manière concertée sur la planification « écologique » et l’assurance a un rôle essentiel à jouer dans cette communauté d’experts pour préparer le monde aux conditions climatiques et agir comme pédagogue et porte-parole du long terme.