Pour paraphraser le philosophe, on peut dire que la pandémie de Covid-19 est un « phénomène social total » car tous les aspects de la vie en société en ont été affectés. La santé physique évidemment, tant du point de vue individuel que du point de vue du système de soins et de sa couverture assurantielle ; la santé mentale avec les conséquences psychologiques très perturbantes pour la maturation des jeunes et le moral des populations en général, dues aux confinements ; l’économie avec les politiques économiques massives de soutien – le « quoi qu’il en coûte » – ; la gestion de crise avec son cortège de réglementations – couvre-feux, jauges de fréquentation – et sa panoplie d’obligations personnelles – gestes barrières, passes sanitaires, vaccinations et leurs rappels – ; la recherche scientifique qui en moins d’un an a mis au point plusieurs vaccins, dont deux se sont révélés à la fois une innovation scientifique (l’ARN messager) et plus efficaces que leurs concurrents (Pfizer et Moderna), alors que la plupart des laboratoires pensaient qu’il fallait plusieurs années pour obtenir un vaccin, à l’instar des anciens vaccins (variole, poliomyélite, diphtérie, etc.) Les chercheurs les plus pessimistes craignaient même ne jamais l’obtenir dans un futur proche, comme malheureusement les hypothétiques vaccins contre le sida et le paludisme ; la philosophie sociale enfin, avec les débats sur le choix des populations prioritaires dans la vaccination. A cet égard, certains commentateurs sur les ondes se sont plaints que le choix du confinement, protecteur des plus âgés car ils étaient susceptibles d’avoir une forme grave de la maladie, voire d’en mourir, se fasse au détriment de la santé mentale et de la maturation des adolescents. Ils préféraient, semble-t-il, le choix inverse du non-confinement. Ils négligeaient le fait que notre système d’assurance maladie obligatoire a choisi, dès sa fondation, le « subventionnement » des plus âgés par les plus jeunes puisque les cotisations ne sont pas indexées sur l’âge.
Les sept articles proposés abordent chacun au moins l’une de ces problématiques sociales. Ils peuvent être regroupés en deux catégories. Les deux premiers articles portent sur les conséquences sanitaires de la pandémie, les cinq autres sur les conséquences pour l’industrie de l’assurance en général.
L’article de Laurent Rousseau et Manuel Plisson décrit tous les impacts négatifs et positifs (les vaccins par exemple) de la pandémie, qu’ils soient directs – la maladie proprement dite – ou indirects – l’aggravation de l’état de santé des personnes non infectées. De même, l’article distingue les effets à court terme des effets à long terme de la pandémie. Il montre aussi que les chiffres publiés sur le nombre de cas dans le monde sont largement sous-évalués, même s’ils n’atteignent pas les chiffres de la pandémie de grippe espagnole de 1918-1919. L’article de Denis Castaing traite d’un cas particulier peu connu du grand public mais représentatif des effets négatifs de la pandémie sur l’ensemble de la santé de la population : le report des opérations vitales comme la greffe du foie. En France, 1 200 transplantations hépatiques sont effectuées chaque année avec un très bon pronostic de survie à cinq ans. Or il n’existe pas de substitut artificiel et on ne survit pas sans foie. La perte de chance pour les non-transplantés est évidente, tout comme la surcharge des services chirurgicaux. L’auteur recommande, entre autres, non seulement la vaccination des patients mais aussi des rappels plus rapprochés que pour la population générale. Avec l’article d’Aurélie Lavandier et Pierre Vaysse nous abordons les conséquences de la pandémie sur l’industrie de l’assurance, tous statuts confondus (assurances privées, mutuelles et Sécurité sociale). Elles ont été lourdes : augmentation des prises en charge par la Sécurité sociale qui a couvert 100 % de la plupart des actes liés à la Covid-19 ; augmentation des indemnités journalières liées aux arrêts maladie, etc. L’article insiste sur le développement nécessaire de la prévention et sur le renforcement du rôle des mutuelles complémentaires. Alors qu’on reparle de la création d’une « grande Sécu », l’article de Florence Lustman plaide non seulement pour le maintien du système actuel de couverture santé à « plusieurs étages » mais aussi pour le développement des complémentaires afin de relever les quatre défis majeurs pour la santé des Français que la pandémie a révélés : un inégal accès aux soins, une inégalité d’accès à l’information, un manque de prévention et un manque d’efficience. L’article de Romain Durand concerne un secteur peu connu du grand public mais indispensable à tous les assureurs : la réassurance. Il compare les conséquences de la pandémie actuelle avec celles de l’autre pandémie mondiale, la « grippe espagnole », qui a frappé en deux vagues entre 1918 et 1919. Les réassureurs ont constaté que la pandémie actuelle a coûté beaucoup moins de vies qu’en 1918-1919, tant en termes relatifs qu’en valeur absolue, mais que les mesures rapides de prévention par les pouvoirs publics ont surtout coûté en assurance non-vie. Toutefois, les reports d’intervention et l’affaiblissement de l’état général de la santé de la population, tous pays confondus, font craindre un alourdissement à long terme de la réassurance vie si le virus devient endémique, comme celui de la grippe saisonnière. L’article d’Arnaud Chneiweiss est un résumé du rapport que le ministre de l’Economie, des Finances et de la Relance, Bruno Le Maire, a demandé au médiateur de l’assurance, sur « les assurances professionnelles et la crise sanitaire ». Evidemment, le médiateur de l’assurance a eu un très grand nombre de recours fondés sur la mise en œuvre des contrats « pertes d’exploitation » déclenchés par les confinements, mais pas seulement. De nombreux contrats se sont révélés mal rédigés, ou du moins leur interprétation pouvait être contestée par les parties (assureurs, agents, courtiers, assurés), d’où la nécessité d’un « tiers de confiance », rôle dévolu au médiateur, afin d’éviter dans un premier temps les recours aux tribunaux, longs et coûteux, inadaptés à la temporalité des affaires économiques. L’article de Christian Gollier, enfin, développe l’analyse économique de la gestion des risques sanitaires dus à une pandémie et leur assurance. Ce sujet a mobilisé plusieurs chercheurs de l’école TSE. Il montre que l’assurance ne peut suffire à couvrir tous les risques liés à une pandémie, mais que le recours à une forme d’autoassurance, c’est-à-dire l’épargne, peut y suppléer. Dans les nombreuses années sans sinistre, l’épargne accumulée peut lisser les pertes de consommation pendant les quelques années avec sinistre. Dans tous les cas, l’intervention de l’Etat, sous une forme ou une autre – le « quoi qu’il en coûte » – reste nécessaire.