Tribune de Florence Lustman
Présidente de France Assureurs
La crise pandémique que nous vivons est inédite de mémoire d’homme. Aucun acteur économique, aucun gouvernement, aucun scientifique n’a su se préparer à une telle catastrophe. En janvier encore, personne n’aurait imaginé qu’un virus apparu dans une ville du centre de la Chine se propagerait à une telle vitesse, tuant près de 400 000 femmes et hommes autour du globe, confinant la moitié de la population mondiale, terrassant les marchés financiers et mettant l’économie à l’arrêt avec tous les drames sociaux qui en découlent. Personne, pas même les spécialistes du risque que nous sommes, nous, les assureurs.
Pour notre secteur, les conséquences du Covid-19 seront importantes, les leçons à en tirer nombreuses.
Au niveau financier tout d’abord, l’impact pour notre profession apparaît massif. L’assurance française va devoir faire face à un effet ciseaux coûteux, avec d’un côté une forte hausse de la sinistralité dans certaines branches – notamment en prévoyance et en responsabilité civile – et, de l’autre, une baisse de chiffre d’affaires due à une moindre activité économique. Le secteur devra aussi gérer la dépréciation de valeur de ses actifs avec la chute des marchés financiers, une dépréciation que les gains liés à la baisse de sinistralité dans certaines branches pendant le confinement ne viendront pas compenser.
Les assureurs français ont heureusement abordé cette crise avec des bilans solides et sauront faire face. Leurs engagements seront honorés et leurs assurés continueront à être protégés. Mais cette crise nous prouve, une fois encore, l’importance d’avoir une gestion saine et prudente, de ne pas céder à toutes les sollicitations. C’est parce que nous sommes sérieux et prudents que nous pouvons nous permettre d’être solidaires.
Et solidaires nous l’avons été et nous le serons encore. L’assurance française a prouvé dans ces mois de crise qu’elle était en mesure de jouer un rôle crucial dans la résilience du pays.
En tant que « service essentiel », nous sommes parvenus tout d’abord à maintenir la continuité de nos activités en mettant en télétravail près de 90 % de nos collaborateurs en moins de 48 heures. Une prouesse qui aura des conséquences sur nos futures organisations internes et qui nous aura permis de gérer plus de 20 000 sinistres chaque jour de confinement. C’est grâce à cette agilité que les Français ont pu continuer à être protégés de tous les risques du quotidien ; les dégâts des eaux, les cambriolages, les incendies n’ont que faire du confinement et nous avons été là pour y faire face.
Notre secteur a également été décisif dans la « guerre » menée par la société française contre le virus. Nous avons adapté nos règles et étendu nos garanties en un temps record pour sécuriser tous ceux qui se battaient en première ligne : protection des soignants sur les nouveaux lieux de travail où ils étaient réquisitionnés d’urgence, assurance gratuite du véhicule privé pour les salariés obligés de se déplacer en voiture, protection automatique des ordinateurs des salariés mis en télétravail, etc. Ces mesures peuvent paraître anecdotiques, elles ne le sont pas : c’est grâce à elles que les Français ont pu continuer à vivre, travailler et s’adapter durant cette période éprouvante.
Enfin, nos assureurs ont fait preuve d’une solidarité exceptionnelle pour aider leurs clients et l’ensemble de nos compatriotes, en mettant plus 3,2 Md€ sur la table au-delà de leurs contrats. Cet engagement solidaire comprend les 400 M€ offerts collectivement au Fonds de solidarité mis en place par l’État pour les TPE et PME en crise – un effort massif que nous sommes actuellement les seuls à consentir ! – mais aussi plus de 1,4 Md€ de gestes commerciaux divers faits individuellement par les assureurs pour leurs clients. Extensions gratuites de protections, suppression de primes, annulation ou report de loyers, financement de services sanitaires gratuits, aides financières directes aux entreprises en difficulté, etc. Toutes ces mesures sont à l’image de l’assurance française : à la fois généreuses et diverses. À cet effort s’ajoute enfin plus de 1,5 Md€ d’investissements en faveur de la relance des PME et ETI françaises, dont 400 M€ dans le secteur de la santé et 150 M€ pour le tourisme. Des sommes loin d’être négligeables dans l’immense chantier de reconstruction de l’économie qui va s’ouvrir cet été.
Aucun secteur n’aura finalement autant contribué à soulager les Français et autant participé à la relance. Nous pouvons être fiers d’avoir été solidaires et même exemplaires à l’international, puisque d’autres marchés nous ont suivis. Toutefois, on ne peut que constater que le « bénéfice » que nous en tirons en termes de réputation est quasi nul ; cette solidarité massive n’aura pas permis de désarmer les critiques et de faire cesser « l’Insurance Bashing » que nous avons connu ces derniers mois.
S’il y a effectivement une chose qu’a parfaitement montré cette crise, c’est l’énorme attente de l’opinion vis-à-vis des assureurs. Les assureurs sont encore trop vus comme des acteurs « riches » et lointains, capables d’éteindre n’importe quel incendie. La polémique sur les pertes d’exploitation sans dommages liés à la pandémie l’a prouvé ; l’opinion publique a encore du mal à accepter que l’assurance puisse avouer ses limites dans des crises comme celle-là. Les Français sont en recherche de protections dans un monde de plus en plus anxiogène et instable et attendent de leur assureur d’être accompagnés en toutes circonstances, même dans les domaines qui sont à la limite de l’assurable. Le fait de souligner que l’immense majorité des garanties exclut le risque pandémique ou que le secteur ne peut prendre à sa charge des pertes d’exploitation non prévues dans ses contrats et équivalentes à plus de cent ans de primes reste finalement une réponse insatisfaisante face à une telle anxiété.
Tous les coups portés par le Covid-19 à notre secteur – qu’ils soient financiers, sociaux ou médiatiques – ont été lourds mais ils seront positifs sur le long terme. Cette crise va obliger l’assurance à se repenser et à prendre à bras le corps les grands défis que lui pose l’avenir.
Le premier de ces défis sera de restaurer la confiance en l’assurance, aussi bien auprès de nos assurés, que des pouvoirs publics et de l’opinion. Étrangement, si les sondages montrent qu’à une très large majorité les Français sont satisfaits de leur assureur, ils restent néanmoins défiants à l’égard de la profession dans son ensemble car – comme l’a montré la crise – ils méconnaissent son fonctionnement et ses contraintes. L’assurance est vue sous le prisme unique de ses actifs, ce qui explique pourquoi on lui demande d’investir son « magot » – qui appartient en réalité à ses clients – dans tous les domaines où il y a des besoins. Le Covid-19 aura eu le mérite toutefois de mettre un coup de projecteur sur nos passifs au travers des sollicitations faites aux assureurs, à qui l’on a demandé de tout indemniser. À nous maintenant de mieux expliquer comment fonctionne l’assurance, notre gestion actifs-passifs et les principes de mutualisation et de risque systémique. À nous également d’intervenir dans le débat public de manière active, d’apporter notre expertise sur tous les sujets sociétaux du moment : dépendance, santé, transition énergétique, infrastructures, etc. Les assureurs sont à la fois des acteurs au plus près du terrain et des gestionnaires de données exceptionnels : ils ont des choses à dire sur toutes les thématiques cruciales pour nos concitoyens. À nous enfin de renforcer toujours plus la qualité de notre conseil au client, de lui offrir la meilleure compréhension possible des contrats, de le guider au mieux dans ses investissements, surtout dans le contexte tendu des taux négatifs.
Le deuxième défi auquel nous aurons à faire face sera de contribuer à l’amélioration de la société au regard des grands défis auxquels elle fait face aujourd’hui. La crise l’a prouvé, les citoyens attendent de leur assureur qu’il soit plus qu’un simple investisseur ou « payeur » de sinistres ; ils veulent qu’il soit aussi un acteur sociétal positif pour l’avenir. Et contribuer au bien commun, c’est non seulement bien faire notre métier d’assureur vis-à-vis de nos clients, mais être également un investisseur responsable, de long terme, un acteur majeur du financement de la transition énergétique et de la lutte contre le changement climatique.
Le troisième défi, enfin, sera de répondre à l’anxiété grandissante de nos concitoyens et de repousser toujours plus loin le domaine de l’assurable pour leur apporter de nouvelles protections. C’est dans cette optique que France Assureurs a lancé dès le mois de mars un groupe de travail pour créer un nouveau régime d’assurance de catastrophes extérieures comparables au Covid-19. Des propositions concrètes en vue d’aider les entreprises à survivre à ces crises systémiques seront faites prochainement, en coordination étroite avec les pouvoirs publics et le parlement. Autre volet de cette « extension du domaine de l’assurable », la modernisation du régime des catastrophes naturelles devra également se poursuivre pour l’adapter aux enjeux climatiques du XXIe siècle.
Restaurer la confiance, devenir des vecteurs du changement sociétal qui éclairent et qui façonnent leur environnement de manière apaisée, repousser les limites de l’assurable ; voilà les quelques défis – massifs – que nous pose la crise du Covid-19. Des défis lourds mais auxquels l’assurance française saura répondre avec intelligence et créativité.