Le confinement prolongé, décidé par les gouvernements pour faire face à la pandémie de Covid-19, pose le problème de l’indemnisation des pertes d’exploitation (PE). Sauf exception, les assureurs ont refusé d’indemniser les entreprises titulaires de contrats pertes d’exploitation. Cet article montre qu’une assurance obligatoire à la charge des entreprises assurées est concevable. Avec des hypothèses « raisonnables » sur la distribution statistique des sinistres et sur la probabilité d’occurrence d’une pandémie, il est possible d’estimer une prime annuelle. Si on admet un plafond d’indemnisation de 100 milliards d’euros et une franchise de 10 milliards d’euros, l’ordre de grandeur de la prime serait celui de l’actuelle prime catastrophes naturelles (cat. nat.).
La pandémie de Covid-19 que nous vivons en ce moment sous la forme d’un confinement mondial plus ou moins rigoureux est une grande première historique. Les conséquences économiques ultimes, qui ne seront connues qu’après le retour à la normale (si tant est que ce retour redevienne « normal »), s’annoncent gigantesques. Plusieurs mois d’arrêt des activités ont, d’une part, un coût macroéconomique énorme – que les États vont s’efforcer de combler par des combinaisons de mesures fiscales et monétaires – et, d’autre part, engendrent des pertes d’exploitation catastrophiques pour beaucoup d’entreprises, quelles soient petites ou très grandes comme Air France-KLM, Renault, etc. Parmi les entreprises touchées par cette crise, un certain nombre, mais pas la majorité, a souscrit un contrat pertes d’exploitation censé les couvrir en cas d’arrêt de leur activité dû à une cause naturelle, par exemple un dégât des eaux, un incendie, une explosion, voire dans le cas d’une profession libérale, une maladie, etc. Certains contrats couvrent même les risques politiques comme un attentat ou une émeute. De fait, la réaction immédiate des entreprises couvertes par ce genre de contrat est de réclamer des indemnisations à leur assureur. Malheureusement pour les titulaires des contrats pertes d’exploitation, les assureurs, quasi unanimement, refusent d’indemniser en invoquant la force majeure ou l’absence de dégâts matériels, quand ce n’est pas l’éventuelle clause explicite du contrat qui exclut le risque de pandémie. Cet article n’a pas pour but de démêler les débats juridiques sur le refus d’indemniser qui ne manqueront pas d’encombrer les tribunaux – et surtout de donner du travail aux avocats des parties en conflit. Il a pour but de montrer qu’une assurance obligatoire du type cat. nat., que nous baptisons cat. san. ou cat. pand., est concevable. Elle couvrirait toutes les entreprises assurées en pertes d’exploitation en cas d’interruption due à une pandémie. Comme dans l’assurance cat. nat., la prime serait prélevée sur tous les contrats pertes d’exploitation en supplément des primes pertes d’exploitation stricto sensu.
Évidemment, cette assurance se heurte à une difficulté majeure, l’évaluation de la prime. Elle dépend de deux facteurs mal connus : la distribution des dommages en cas de pandémie, c’est-à-dire la distribution probabiliste des durées de confinement et la fréquence des pandémies, sachant que la pandémie actuelle est le seul exemple historique où un confinement durable a été appliqué à l’échelle mondiale.
Distribution des dommages1
Les dommages sont évalués en unités monétaires. Dans le cas des pertes d’exploitation, ils sont directement liés à la durée de l’interruption. Un modèle de distribution des dommages (X) s’impose, celui de la distribution de Pareto d’exposant caractéristique α=−1. Sur un graphique Log-Log, les dommages sont en abscisse (de 0 correspondant à X=1, jusqu’aux plus grandes valeurs observées ou conjecturées correspondant à plusieurs centaines de milliards, voire milliers de milliards d’unités monétaires) tandis que les fréquences cumulées sont en ordonnée. La distribution de Pareto a pour graphe bien connu une droite de pente –1.
En effet : Prob(X≥x)≈C.x-1 soit Log<Prob(X≥x)>≈ LogC –Logx C =constante
Le symbole ≈ au lieu du symbole = signifie que la droite dite de Pareto ne s’ajuste pas correctement aux petites valeurs de X mais qu’elle s’ajuste d’autant mieux que la valeur de X est élevée.
La pente −1 signifie que le plus grand dommage est deux fois plus élevé que le deuxième, lequel est deux fois plus élevé que le quatrième, lequel est le double du huitième, etc. De même le troisième dommage par son montant est le double du sixième, etc. Le choix de la distribution de Pareto avec α=−1 n’est pas arbitraire et ce pour deux justifications : l’une statistique, l’autre liée au processus de propagation d’une pandémie.
Analyse statistique
La pandémie actuelle, tout comme les autres catastrophes naturelles ou technologiques, sont des phénomènes générant des valeurs extrêmes très éloignées des valeurs moyennes. Les statisticiens qualifient les distributions de ces phénomènes de distributions « à longue queue » où les deux ou trois plus grandes valeurs représentent 80 %, voire 90 %, des dommages totaux. Aucune distribution exponentielle négative ou asymptotiquement exponentielle négative ne peut s’ajuster à la distribution des dommages observés car elle sous-estime fortement les plus grandes valeurs.
Ainsi la loi lognormale, très asymétrique, qui a une queue de distribution positive relativement longue, sous-estime fortement les valeurs extrêmes alors qu’elle s’ajuste correctement aux valeurs moyennes et aux valeurs peu éloignées de la moyenne, qu’elles soient supérieures ou inférieures à la moyenne.
On observe une distribution de Pareto dans de nombreuses statistiques économiques, par exemple les sinistres pertes d’exploitation en France, les montants des dommages dus aux catastrophes climatiques aux États-Unis2, les distributions des revenus, les tailles des villes (loi de Zipf), etc. Ces distributions de Pareto ne sont que le reflet statistique de la concentration des revenus, des patrimoines ou des agglomérations. Elles ont toutes pour origine des effets d’échelle positifs qui renforcent les plus riches ou les villes les plus grandes.
La distribution de Pareto, dite aussi « loi puissance », est caractéristique des phénomènes sans échelle propre (en anglais « scale free »). Contrairement aux phénomènes biologiques, où on observe de nombreuses dimensions moyennes (taille des individus, volume des organes, composition du sang, fréquences cardiaques, etc.) dont les êtres vivants s’écartent très peu sous peine de maladie ou de mort, l’économie ne connaît pas l’équivalent d’une taille « normale ». Par exemple, la théorie économique appliquée à la gestion des entreprises s’applique aussi bien pour l’entreprise unipersonnelle que pour l’entreprise de plusieurs centaines de milliers d’employés, sans qu’une limite supérieure à la taille soit déterminée par la théorie. Les seules limites sont extrinsèques à l’entreprise, par exemple la taille des marchés, la disponibilité en main d’œuvre ou la réglementation anti-trust, etc. De même, la théorie économique ne fixe pas de limite supérieure à l’accumulation des richesses individuelles.
Analyse du processus pandémique
Les pandémies sont également des phénomènes sans échelle propre. L’histoire des pandémies passées et présentes montre qu’elles se sont répandues dans le monde tant qu’il a subsisté une population non immunisée contre les virus mortels ou en contact avec les parasites porteurs de bactéries dangereuses, ou encore en contact avec les animaux domestiques ou sauvages porteurs des virus mortels pour l’homme. C’est ainsi que la peste noire du XIVe siècle a tué plus de 30 % de la population mondiale de l’époque (sans les Amériques), 50 % dans certaines régions ; que les virus apportés par les conquérants européens ont été à l’origine de la quasi-disparition des populations autochtones en Amérique du Nord, Centrale et du Sud ; et que la grippe espagnole entre 1918 et 1920 a tué 2,5 % de la population mondiale3.
Toutefois, le processus générateur d’une pandémie est d’une tout autre nature que l’effet d’échelle positif sous-jacent aux concentrations économiques. Il s’agit d’un processus de croissance exponentielle avec arrêt aléatoire marquant la fin de la pandémie. Les économistes connaissent un exemple célèbre de ce genre de processus puisqu’il a été à l’origine de la théorie du risque : le « jeu de Saint-Pétersbourg », lui-même à l’origine du « paradoxe de Saint-Pétersbourg »4.
Dans le « jeu de Saint-Pétersbourg », imaginé par Nicolas Bernoulli (1713), on lance une pièce de monnaie équilibrée et à chaque résultat « pile » de probabilité ½ les gains sont doublés. Lorsque « face » tombe, de probabilité ½, le jeu s’arrête. Quand « face » tombe au premier lancer le gain est égal à 0 et le jeu s’arrête, tandis que lorsque « pile » sort au premier lancer le joueur gagne 2 et le jeu continue. Puis, lorsque « pile » tombe au deuxième lancer, de probabilité ¼, le gain est égal à 4, etc.
Si on ne fixe pas à l’avance un nombre maximal de lancers, le calcul de l’espérance mathématique montre qu’elle est infinie :
2×½+4×¼+8×⅛+…+2n × ½n = 1+1+1+…=>∞
Le contraste entre l’énormité de l’espérance et la médiocrité des gains dans un jeu aussi simple à concevoir confère un caractère paradoxal au jeu. Aucun joueur n’acceptera de miser une fortune théoriquement infinie, en pratique « colossale », pour un gain probable voisin de 4.
Quant à la solution imaginée par Daniel Bernoulli (1738)5, cousin de Nicolas, qui consiste à évaluer les gains en « utilité », c’est-à-dire en logarithme des gains monétaires, qui donne à ce jeu une espérance finie de très faible valeur, elle n’est pas non plus jouable. En effet, aucun casino ne peut accepter de recevoir des mises très faibles évaluées en logarithmes des gains, car elles sont très inférieures aux gains monétaires (pour mémoire : Log102 = 0,30103). Le casino serait rapidement ruiné.
Pourtant, comme nous l’avons montré dans notre article de 1994, ce jeu est bien joué. Le joueur c’est nous ; le casino, c’est la nature. En effet, quand les épidémiologistes définissent le « patient zéro » comme celui qui contamine x personnes à chaque contact, on a une structure « à la Saint-Pétersbourg » qui n’est d’ailleurs qu’un exemple de réaction en chaîne. Les « gains » sont remplacés par le nombre de personnes infectées tandis que les probabilités de gagner sont les probabilités pour qu’une personne infectée contamine x personnes. Dans le jeu de Saint-Pétersbourg originel, un joueur infecté a une chance sur deux d’infecter deux autres personnes. La pandémie s’arrête si les personnes infectées ne rencontrent personne d’autre au cours de leur période contagieuse.
On peut évidemment modifier le jeu en changeant la structure des gains ou celle des probabilités, tout en conservant le paradoxe. Par exemple, si le patient zéro contamine trois personnes, lesquelles en contaminent chacune trois autres, avec la probabilité ½ l’espérance diverge encore plus vite :
3×½ + 9 ×¼ + 27 ×⅛ + …+ 3n ×½n= 1,5+2,25+3,375+… => ∞
Dans cet exemple, pour que l’espérance existe, ce qui limiterait la propagation de la pandémie, il faudrait que la probabilité qu’une personne infectée en contamine trois autres soit inférieure à ⅓. Par exemple, avec une probabilité de contaminer égale à ¼, l’espérance est égale à 4. On est très loin de l’infini.
En l’absence de traitement ou de vaccin susceptibles de guérir les malades ou d’empêcher de tomber malade, si on veut limiter l’expansion de la pandémie, il faut agir sur le numérateur (le nombre de contaminés par personne infectée) ou sur le dénominateur (la probabilité d’entrer en contact) ou sur les deux termes de la fraction à la fois. Ce que fait le confinement. Les personnes isolées chez elles ne peuvent plus rencontrer autant de personnes lors de leurs rares déplacements et la probabilité pour qu’elles rencontrent d’autres personnes est réduite, voire proche de zéro si le confinement est absolu. La combinaison des deux alternatives, croissance ralentie du numérateur et décroissance renforcée du dénominateur, interrompt la réaction en chaîne, et avec elle la pandémie.
Quant aux seules mesures dites « barrières », qui n’imposent pas le confinement, mais un simple éloignement physique, elles affectent le numérateur en réduisant le nombre de contacts potentiellement contaminants. En revanche, elles risquent d’augmenter la probabilité d’un contact contaminant en laissant se multiplier les déplacements, les réunions, les rassemblements, etc.
Le modèle du jeu de Saint-Pétersbourg présuppose inchangées la structure des gains et la probabilité pour que la partie se poursuive. En réalité, lors d’une pandémie un certain nombre de personnes deviennent immunisées, soit parce qu’elles ont été contaminées et guéries, soit parce qu’elles sont génétiquement immunisées. Plus la pandémie s’étend, plus le nombre de personnes immunisées augmente, du moins peut-on l’espérer. C’est le phénomène d’immunisation collective à la base des modèles de propagation « compartimentaux » en épidémiologie6. Il est donc possible que le nombre de personnes contaminables diminue et que la probabilité pour qu’une personne en contamine d’autres soit elle aussi diminuée, d’où l’arrêt de l’épidémie. Dans le cas du Covid-19, les données actuelles ne permettent pas de percevoir ce phénomène d’immunisation collective, d’où le maintien du confinement ou du moins des mesures barrières.
La valeur −1 de la pente de la droite de Pareto sur un graphique Log-Log n’est pas non plus choisie de façon arbitraire. Elle correspond à une distribution sans espérance et sans variance, comme celle du jeu de Saint-Pétersbourg7. Une simulation d’un grand nombre de parties de jeu montre que la répartition des gains s’ajuste à une distribution de Pareto avec une pente égale à −1. La moitié des parties gagne au moins 2, un quart au moins 4, etc.
Ces distributions de Pareto de pente −1 ne se rencontrent pas seulement dans des casinos imaginaires. Il est très fréquent de rencontrer des distributions naturelles du type Pareto, donc sans échelle propre, avec un exposant caractéristique α proche de −1, parfois légèrement supérieur à −1, parfois inférieur à −1.
Outre les trois exemples économiques signalés plus haut (taille des villes, dommages dus aux catastrophes climatiques aux États-Unis, sinistres pertes d’exploitation en France), c’est le cas de deux phénomènes catastrophiques d’origine naturelle : la loi de Gutenberg-Richter qui relie la magnitude des tremblements de terre à leur fréquence et la distribution des tailles des météorites ayant frappé la terre depuis 60 millions d’années8.
À ce stade de l’analyse, il paraît évident qu’aucune prime ne peut être calculée, puisque l’espérance est infinie. Dans la partie suivante nous montrons qu’il est possible d’estimer une prime si on plafonne l’indemnisation. Comme dans le jeu de Saint-Pétersbourg, l’espérance et la variance sont finies dès qu’on fixe a priori un nombre limité de lancers, correspondant au plafond d’indemnisation.
Estimation de la prime couvrant les PE en cas de pandémie
La prime doit tenir compte de l’espérance des indemnisations, de leur variance et de la fréquence des pandémies. Les deux premiers facteurs sont relativement faciles à estimer dès qu’on se donne un plafond d’indemnisation à l’échelle globale (M) et un seuil correspondant à une franchise (m). En revanche, la probabilité de survenance d’une pandémie reste beaucoup plus difficile à estimer. Nos calculs tiennent compte de cette incertitude.
Soit un plafond M = 100 Md€ et une franchise m = 10 Md€. Cette franchise correspond à un arrêt des activités d’au moins deux semaines, peut-être plus.
L’espérance E(X) d’une distribution de Pareto avec α=−1, définit entre un plafond M et une franchise m est égale à :
E(X)=Mm(LogM−Logm)(M−m)−1
La variance est égale à :
V(X)=Mm−E2(X)
Avec M = 100 et m = 10 :
E(X)=1000(4,6-2,3)/90=25,58 (en milliard d’euros)
V(X)=1000−654,34=345,66
soit un écart type :
√V(X) = 18,59 (d°)
Pour évaluer la prime annuelle, il faut prendre en compte la probabilité de survenance d’une pandémie. À défaut de statistiques suffisamment nombreuses, il faut conjecturer. Le monde a connu deux pandémies « graves » en un siècle : la grippe espagnole en 1918-1919 – qui s’est achevée en 1920 – et la pandémie actuelle de Covid-19 toujours en cours. Nous retenons deux scénarios pour les pandémies graves. Celui d’une seule pandémie par siècle (centennale) de probabilité annuelle 1/100 et celui de deux pandémies par siècle de probabilité annuelle 1/50 (cinquantennale).
Voici les valeurs des espérances pondérées E(X)p par les probabilités de survenance correspondant aux deux hypothèses. Dans tous les cas, le plafond M = 100 et la franchise m = 10 :
P=1/50
E(X)p= 25,58/50=0,512 (milliard d’euros)
P=1/100
E(X)p=25,58/100=0,256 (d°)
Ces montants sont relativement faibles. Ils ne suffisent pas à équilibrer une assurance cat. san. car ils n’incorporent pas le risque lié à l’extrême dispersion des dommages dans un univers dominé par des distributions de Pareto d’exposant α=−1.
Il faut ajouter un coefficient de sécurité que nous posons égal à un écart type. Mais il est tout à fait possible de choisir un autre coefficient moins élevé, car, comme nous allons le voir, un coefficient de sécurité égal à un écart type pourrait être trop large9.
P=1/50
V(X)p= (1000-25,582)/50= 345,66/50 = 6,91
Écart type : √6,91=2,63 (milliard d’euros)
P=1/100
V(X)p=345,66/100=3,46
Écart type : √3,46 =1,86 (d°)
D’où les montants des primes annuelles :
P=1/50
Prime =0,512+2,63=3,14 (milliard d’euros)
P=1/100
Prime =0,256+1,86=2,12 (d°)
Ces primes annuelles sont relativement élevées. En régime permanent, elles permettraient d’indemniser tous les sinistres pertes d’exploitation – au-delà de la franchise et jusqu’au plafond – avec trois pandémies par siècle dans l’hypothèse 1/50 et deux pandémies par siècle dans l’hypothèse 1/100.
Avec un coefficient de sécurité égal à ½ écart type, les primes sont plus faibles et d’un ordre de grandeur comparable aux primes cat. nat. actuelles :
P=1/50
Prime = 0,512+1,32=1,83 (milliard d’euros)
P=1/100
Prime =0,256+0,93=1,19 (d°)
À ce stade de la connaissance des pandémies, les assureurs et les politiques qui décideraient de la mise en place d’une assurance cat. san. ou cat. pand. auront donc le choix de fixer la valeur de la prime annuelle avec un coefficient de sécurité compris entre ½ écart type et un écart type. Ils auront aussi le choix de fixer un autre plafond ou une autre franchise. Mais ces choix ne relèvent pas du calcul actuariel pur. Ils incorporent des considérations politiques et sociales, notamment l’acceptabilité par les entreprises assurées en pertes d’exploitation d’une prime d’assurance supplémentaire obligatoire. Selon les hypothèses retenues sur la fréquence des pandémies et en arrondissant les bornes extrêmes aux valeurs entières les plus proches, la prime d’assurance obligatoire serait comprise entre un et trois milliards d’euros ; soit en moyenne environ 1/1000 du PIB actuel de la France.
Conclusion
La mise en place d’une assurance obligatoire cat. san. ou cat. pand. couvrant toutes les entreprises ayant souscrit un contrat pertes d’exploitation n’est donc pas une utopie. Avec des hypothèses raisonnables sur la distribution statistique des sinistres et sur la probabilité d’occurrence d’une pandémie, il est possible d’estimer une prime annuelle. Son ordre de grandeur serait celui de la prime cat. nat. Sauf que, évidemment, le nombre d’entreprises assurées en pertes d’exploitation est beaucoup plus faible que le nombre de ménages assurés en multirisque habitation ou en automobile.
Notes
- Dans ces développements nous nous référons à notre livre : Économie des extrêmes. Krachs, catastrophes, inégalités, Flammarion, 2009.
- Entre 1980 et mars 2020, les États-Unis ont subi 263 catastrophes climatiques ayant coûté au moins 1 Md$ US (source National Oceanic and Atmospheric Administration – NOAA). La droite de Pareto parfaitement ajustée sur l’ensemble des 250 sinistres compris entre 1,2 Md$ US et 100 Md$ US a pour pente −1. Les deux plus grands sinistres dus aux cyclones Harvey (2017) et Katrina (2005) sont sous-évalués. Harvey a coûté 130 Md$ US au lieu de 150 Md$ US estimés d’après la droite de Pareto et Katrina a coûté 170 Md$ US au lieu de 300 Md$ US théoriquement donnés par la droite. Il s’agit du phénomène de fluctuation d’échantillonnage dû au très petit nombre d’observations (2) au-delà de 100 Md$ US, alors qu’on dispose de 260 observations inférieures à ce seuil. À l’inverse, les statistiques urbaines montrent souvent que la ville ou agglomération la plus grande est plus grande que ce que prévoit la droite de Pareto ajustée sur toutes les villes de tailles inférieures. Paris et Londres en sont deux exemples.
- Laura Spinney, La grande tueuse. Comment la grippe espagnole a changé le monde, Albin Michel, 2018.
- Daniel Zajdenweber, « Équité et jeu de Saint-Pétersbourg », Revue économique, vol. 1, 1994, pp. 21-45. Voir aussi Économie des extrêmes, Flammarion, 2009.
- Daniel Bernoulli (1700-1782) comme son cousin Nicolas Bernoulli (1687-1759) étaient les neveux de Jacques Bernoulli (1654-1705), l’auteur de la première démonstration de la loi des grands nombres.
- Voir la bibliographie sur les modèles en épidémiologie dans ce numéro de la revue (p. ..).
- Lorsque f(x)=Cx−1 les intégrales òxf(x)dx et òx2f(x)dx définissant l’espérance et la variance ne convergent pas quand x tend vers l’infini. Lorsque l’exposant caractéristique α est compris entre −1 et −2, l’espérance existe, mais pas la variance. Enfin, lorsque α est supérieur à −2, l’espérance et la variance ont chacune une valeur finie. L’exemple mathématique le plus connu de distribution sans espérance est la loi de Cauchy. Elle est symétrique et elle ressemble beaucoup à la courbe en cloche de Gauss, mais ses deux queues de distribution se comportent comme des lois de Pareto de pente −1. Moins connue, la distribution de Cauchy asymétrique, de la famille des lois Lévy-stables comme la loi de Cauchy, n’a pas non plus d’espérance mathématique. Sa queue de distribution à droite est très longue et se comporte comme une droite de Pareto de pente −1 sur un graphique Log-Log.
- Thomas Séon, Les lois d’échelle. La physique du petit et du grand, Odile Jacob, coll. « Sciences », 2018.
- Si on admet que la fréquence annuelle d’une pandémie est une variable aléatoire binomiale B d’espérance E(B)=p et de variance V(B)= p(1-p)/n la formule donnant la variance des sinistres est : V(X)p= E(B)V(X)+E2(X)V(B). Mais avec p=1/50 ou p=1/100 V(B) est très petit, si bien que le deuxième terme de la formule peut être négligé.