Quel avenir pour l’assurance automobile ? Cette branche, centrale à tous les grands acteurs du marché, est en pleine interrogation sur son avenir à moyen terme, sous les coups de boutoir de la révolution numérique et de la fascination pour le possible véhicule autonome.
Certains consultants ont fait des prédictions très pessimistes, évoquant une impressionnante chute du volume de primes de 60 % (à horizon 2040 il est vrai) ! Car si les voitures deviennent autonomes et n’ont plus d’accidents, à quoi bon s’assurer ? Pour nous, assureurs, qui plaçons la sécurité de nos assurés au centre de nos préoccupations, nous ne pourrions que nous réjouir d’une forte réduction de la sinistralité. Nos auteurs sont cependant plus nuancés que ces prévisions péremptoires, et sans doute plus réalistes. Les risques liés à nos transports automobiles ne vont sans doute pas disparaître rapidement.
Examinons quelques-uns des grands défis pour l’avenir de l’assurance automobile.
Le premier risque serait tout simplement que les Français se détournent de l’usage de la voiture. Nous constatons le développement du covoiturage et de services tels que Autolib’ à Paris, ce qui met « une pression baissière sur le parc de véhicules » nous dit Valérie Cohen. Elle estime cependant qu’il s’agira avant tout « d’un phénomène plutôt urbain, concernant les grandes agglomérations ».
La propriété des données est un autre grand défi. « Les voitures deviennent aujourd’hui de véritables objets connectés » nous dit Anne-Charlotte Bongard, c’est-à-dire des émetteurs de données. Or Valérie Cohen nous rappelle que « le cœur de métier des assureurs, c’est l’analyse des données ». Avec qui le propriétaire du véhicule acceptera-t-il de les partager ? Il est crucial pour les assureurs d’avoir accès à ces données.
Le risque de la démutualisation. Cet accès nouveau aux données personnelles du conducteur, via des capteurs embarqués, va-t-il révolutionner la manière de pratiquer l’assurance ? Allons-nous vers des tarifications beaucoup plus individualisées (« pay how you drive ») en fonction de la qualité de conduite de l’assuré ?
Valérie Cohen estime qu’une telle évolution doit être combattue : elle se ferait « au détriment d’une grande partie de nos assurés, via la majoration de leurs primes ou la moindre couverture de leurs risques. Il est donc important de défendre cette forme de solidarité au profit du plus grand nombre ». Patrick Degiovanni se demande lui aussi « comment gérer socialement cette démutualisation » et pose la question : « Jusqu’où les Français accepteront-ils cette intrusion d’un assureur dans leur vie privée via une boîte noire capable de suivre en temps réel véhicule et passagers ? ».
Dans une analyse plus actuarielle, Guillaume Leroy et Frédéric Planchet arrivent également à la conclusion que « les logiques sous-jacentes devraient limiter le mouvement vers des tarifs toujours plus différenciés que la technologie tend à privilégier ». « La mutualisation des risques est au cœur de l’efficacité du transfert de risques qui passe par l’opération d’assurance » nous disent-ils. S’en éloigner pourrait conduire à « une plus forte volatilité du coût des garanties pour les assurés et une moindre stabilité des portefeuilles d’assurance automobile ».
Un taux de résiliation plus élevé ? Suite à l’entrée en vigueur de la loi Hamon début 2015 qui permet de résilier son contrat d’assurance auto « à tout moment », Patrick Degiovanni s’attend à une progression de deux points en deux ans (de 14 à 16 %) du taux de résiliation, « ce qui pourrait bouleverser un grand principe », « si le temps de conservation des contrats se réduit, le retour sur investissement sera de plus en plus délicat ».
Dernier risque, qui n’est pas propre à la seule assurance automobile, l’arrivée de nouveaux acteurs. On pense bien sûr aux comparateurs d’assurance sur Internet, « prédateurs du lien client et qui ont comme objectif prioritaire de prendre la plus grande marge possible sur la chaîne de valeur » (Valérie Cohen).
Face à ces défis, comment les assureurs pourraient-il s’organiser ? D’abord en faisant évoluer la nature même des contrats. Patrick Degiovanni évoque la possibilité « d’offrir une garantie de mobilité », « passer d’une couverture attribuée à un véhicule à un contrat lié à une personne, potentiellement conductrice de plusieurs véhicules ». Par ailleurs le rôle des assureurs va évoluer vers plus de prévention individualisée, grâce aux données collectées. Jonathan Bibas pense que le big data permettra « plus de prévention, des conseils ou un accompagnement vraiment personnalisés qui auront pour mission d’aider les automobilistes grâce aux données récupérées via leurs véhicules connectés ».
Allons-nous enfin vers une concentration accrue du marché ? Patrick Degiovanni le pense, qui fait « le pari que les gagnants de demain se trouvent déjà parmi les ténors d’aujourd’hui ».
Stéphane Pénet consacre un article spécifique au véhicule autonome, thème abordé par plusieurs de nos auteurs. Est-ce la fin du besoin d’assurance automobile ? Certainement pas puisque de nouveaux risques y seront associés, comme celui de la cybercriminalité, c’est-à-dire le risque de piratage du système de contrôle. Jonathan Bibas met en garde quant à lui sur le fait que « les aides à la conduite démobilisent l’attention du conducteur », ce qui est une source d’accident.
Par ailleurs, ce véhicule autonome, s’il arrive un jour, ne sera pas là avant un moment, « 20 ans » selon Anne-Charlotte Bongard. Le passage à un tel véhicule sera progressif, avec des « délégations de conduite » de plus en plus étendues. La Convention de Vienne sur la circulation routière devra être adaptée puisqu’elle indique que « tout véhicule en mouvement doit avoir un conducteur et tout conducteur doit constamment avoir le contrôle de son véhicule ».
Le véhicule autonome posera la question de savoir qui est responsable en cas d’accident : « dysfonctionnement d’une technologie embarquée, défaillance de l’infrastructure routière, défaillance de l’opérateur en charge de la transmission des données, usager du véhicule… ». On peut craindre, nous dit Stéphane Pénet, « la multiplication des litiges quant à l’établissement des responsabilités ».
En clôture de ce dossier, Jean-Dominique Antoni nous rappelle l’étroite articulation entre assurance automobile et assistance, cette dernière visant à intervenir dans l’urgence pour apporter une prestation en nature et « effacer les conséquences du sinistre ». Il s’interroge : « La révolution numérique va-t-elle être portée par les sociétés d’assistance ? ». Car cette révolution va permettre « une mise en relation quasi instantanée entre la victime d’un accident léger et le prestataire susceptible de la dépanner ».
On le voit, les défis à relever sont nombreux. Les bouleversements technologiques (révolution numérique, véhicule autonome…) peuvent conduire à repenser fortement le type de protections à proposer à la clientèle. Nous espérons que ce dossier sera stimulant pour la réflexion !