Notre dossier s’intéresse à la « révolution digitale » pour reprendre l’expression d’Eric Véron, qui considère que l’irruption des nouvelles technologies de l’information dans notre secteur peut bouleverser les équilibres existants de trois façons :
- par l’arrivée de nouveaux acteurs. On pense naturellement aux comparateurs d’assurance sur internet, mais aussi à l’entrée dans notre secteur de « géants du net » du type Google ;
- par la montée en puissance de l’influence des réseaux sociaux, qui oblige les assureurs à mieux suivre leur e-réputation ;
- par l’obtention de données nouvelles, qui permettront de nouvelles approches pour analyser les risques soumis aux assureurs.
Intéressons-nous d’abord à l’apparition de ces nouveaux intermédiaires, les comparateurs d’assurance par internet. Ils ont connu une « croissance fulgurante » sur le marché britannique, nous disent Martin Coriat et Romain Durand. Dans un cadre que l’on peut décrire comme anarchique ou hyper-libéral selon le sentiment de chacun, où la règle de la tacite reconduction n’existe pas, la rotation des portefeuilles est terrible, et la durée moyenne des contrats d’assurance automobile inférieure à 3 ans.
Les comparateurs ont su tirer profit de cette grande fluidité du marché britannique : désormais 60 % des affaires passent par eux en assurance automobile. Ils ont fait leur place aux dépens des assureurs classiques : le marché britannique est « peu profitable » pour ces derniers. « Les clients ont clairement pris le pouvoir au Royaume-Uni » nous disent nos auteurs. Cependant, j’ai envie de leur répondre « à quel prix ? » puisqu’ils nous indiquent par ailleurs que la prime d’assurance auto est de 726 euros en moyenne chez nos voisins contre 400 euros en France. N’ayant que trois ans pour « amortir » le coût d’acquisition des clients, les assureurs ne compensent-ils pas par des tarifs nettement plus élevés ?
Qu’en est-il du marché français ?
Les opinions de nos contributeurs sont très contrastées : Stanislas di Vittorio estime que « les comparateurs d’assurance sont en plein essor » tandis que Henri Debruyne juge leur démarrage « peu convaincant ». Si tous deux s’accordent sur les chiffres actuels (moins de 5 % des affaires nouvelles passent par les comparateurs d’assurance, essentiellement en assurance automobile), leurs opinions sur leurs perspectives sont franchement divergentes.
Henri Debruyne souligne que pour le moment les comparateurs n’ont pas su créer d’affectio societatis avec leurs clients, attachés à la puissance des marques. Il note par ailleurs qu’à ce stade il existe une « opposition fondamentale de stratégie » entre les principaux assureurs et les comparateurs, si bien que les premiers refusent de faire figurer leurs offres chez les seconds. « Les comparateurs sont orientés vers le prix », nous dit-il, tandis que « ce sont la profitabilité et la pérennité des opérations qui déterminent les stratégies des assureurs ». Il estime par conséquent que pour se développer « les comparateurs doivent changer de modèle. Ils doivent s’écarter de leur stratégie fondée sur le prix pour adopter une démarche plus globale d’offre de prestations ».
Stanislas di Vittorio constate lui aussi « la réticence des grands assureurs » à s’allier aux comparateurs et « un fort attachement des Français aux marques ». Ses espoirs de développement s’appuient sur une plus grande fluidité du marché que la loi Hamon (« résiliation à tout moment ») pourrait favoriser. Il note aussi que l’arrivée d’un acteur tel Google pourrait « bouleverser les équilibres actuels ». Lucide, il convient que pour se développer les comparateurs devront « faire évoluer leur modèle vers un mode de restitution valorisant mieux les marques et les réseaux ».
Autre sujet traité par nos auteurs, le besoin de suivre son e-réputation. La bataille de l’image se joue de plus en plus sur des forums de discussion, des blogs, Twitter, nous explique Eric Véron, « ce qui signifie une augmentation de la communication non maîtrisée par les assureurs ». « De nombreux avis ou commentaires sont négatifs ou faux ». Se créent ainsi de nouveaux postes dans les entreprises d’assurance pour répondre aux clients et prospects s’exprimant sur ces espaces : les community managers.
Enfin, les nouvelles technologies peuvent révolutionner l’approche même du risque. Dans un article visionnaire, Jean-Claude Seys imagine « la sécurisation des personnes dépendantes, reliées en permanence à travers de multiples capteurs de leurs données vitales à des plateformes » détectant les anomalies. La « voiture connectée » avec « un nombre croissant d’automatismes » pourrait faire chuter la sinistralité automobile.
Notre auteur imagine ainsi les sociétés d’assurance de demain « au cœur d’une toile d’araignée les unissant à tous leurs assurés, une toile interactive ».
L’autre révolution qu’entrevoit Jean-Claude Seys concerne le big data. On en parle depuis des années. Il considère que l’heure vient qui permettra « une segmentation très précise, tant du point de vue du risque que de l’approche commerciale ». Mais qui bénéficiera de cette « rupture technologique » : les assureurs ou les entreprises de données de type Google, Facebook ou Amazon, qui chercheront à capter « une part essentielle de la valeur ajoutée en jouant un rôle d’intermédiaires entre assureurs et prospects »?
Cette révolution digitale porte décidément en elle bien des défis pour les assureurs. Est-elle une simple adaptation technique spectaculaire ou une révolution dans l’exercice même du métier ?
À vous maintenant de vous forger votre opinion par la lecture des articles stimulants de notre dossier.