Pour beaucoup, le risque alimentaire se résume à quelques événements récemment dramatisés, comme la crise de la « vache folle » qui n’a cependant pas été la catastrophe sanitaire annoncée à l’époque. En effet, le spectre de la faim, voire de la disette, a disparu depuis longtemps de nos mémoires de pays développés, pour faire place à son opposé, une épidémie d’obésité, résultat navrant d’une abondance d’aliments riches en sucres, matières grasses et sels – ingrédients autrefois rares (« mettre du beurre dans ses épinards ») quand ils n’étaient pas taxés (la gabelle). Les remarquables gains de productivité de l’agriculture moderne ont permis aux populations des pays développés d’oublier ce passé relativement récent, que les Européens ont à nouveau vécu au cours de la Seconde Guerre mondiale avec le rationnement et son corrélat, le marché noir. Rappelons qu’en 1946 il y avait en France plus de 2 millions d’exploitations agricoles pour nourrir 40 millions d’habitants et les exportations, soit une exploitation pour environ 20 habitants, alors qu’aujourd’hui il reste un peu moins de 500 000 exploitations pour 65 millions d’habitants, soit une exploitation pour 130 habitants, toujours avec un solde extérieur positif.
En fait, comme l’écrit l’historien Pierre Martin dans son article sur l’histoire du risque alimentaire, il n’a pas disparu, il a muté. Ce ne sont plus les quantités qui sont exposées au risque ; ce sont d’une part, les prix des matières premières entrant dans la production et ceux des produits finis, vendus sur des marchés ouverts à la mondialisation et à la libéralisation du commerce et, d’autre part, les risques sanitaires, fort rares si on les compare aux épidémies anciennes, mais dont la perception par les consommateurs, c’est-à-dire tout le monde, est une menace permanente pour les organismes de contrôle et pour les producteurs. Ce risque a deux manifestations, soit le retrait de produits, soit l’atteinte à la réputation, laquelle peut être mortelle pour les entreprises victimes de désordres dans la chaîne agroalimentaire, que ce soit la présence de bactéries, de parasites ou d’OGM indésirables, ou encore de fraudes sur la qualité des ingrédients.
L’article cosigné par Philippe Tillous-Borde et Philippe Dusser et celui de Alexander Law analysent l’évolution des marchés alimentaires vers une volatilité croissante des prix liée à la libéralisation du commerce mondial des produits alimentaires, d’où pour les producteurs français, une exposition croissante au risque, alors qu’ils sont fortement averses au risque. Les quatre articles suivants, de Laurent Rosso, Patrick Bèle, Gérard Pascal et Jean-François Molle, développent tous les aspects du risque sanitaire dans la filière agroalimentaire, tant du point de vue du producteur, des organismes de contrôle, que de celui des industriels de la grande consommation. Les deux derniers articles sont consacrés à l’une des conséquences graves du risque sanitaire dans l’alimentaire, le risque de contagion de maladies. L’article de Stéphane Gin et Valérie Evrard expose le point de vue de l’assureur, tandis que celui de Patrice Bertail et Charles Tillier développe un modèle stochastique d’exposition aux risques chimiques, qui rappellera aux actuaires qui nous lisent combien la modélisation du risque de ruine peut enrichir la connaissance dans un autre domaine que l’assurance.