La France va vieillir – certes nettement moins vite que ses voisins mais, comme tous les pays occidentaux, avec une avance de quelques décennies sur les pays émergents. Ce processus, en marche depuis longtemps, est dû à une baisse de la mortalité infantile, à une démographie déclinante et à l’allongement de la durée de vie. Ce sont les trois ingrédients qui créent ce mouvement inéluctable qui, par ailleurs, nous conduira à une population mondiale comprise entre 9 et 10 milliards d’habitants.
La tradition intellectuelle, essentiellement intuitive, considère que le vieillissement est un facteur de ralentissement de la croissance et cela pour au moins deux raisons évidentes. C’est d’abord l’idée que le dynamisme d’une société apparaît comme lié de manière irréductible à sa jeunesse, ensuite et surtout la constatation que le vieillissement alourdit la part du PIB consacrée aux dépenses de santé et de retraite. Dans le cas français, les calculs relativement optimistes du Comité d’orientation des retraites prévoient un accroissement des dépenses publiques de protection sociale, au bénéfice des inactifs, de 3 % à l’horizon 2050. Tout semble donc être dit, avec, comme perspective pour les pays développés, dont le nôtre, une croissance définitivement molle ou une politique d’immigration extrêmement active. Pourtant, la réalité est, comme toujours, plus complexe et des sociétés avancées ne sont pas condamnées, du moins pour cette raison-là, à un déclin définitif. D’abord, l’idée selon laquelle la productivité du travail des seniors serait faible est contrebattue par de nombreuses études empiriques qui soulignent que les actifs de 60 à 65 ans ne connaissent pas de baisse de productivité. Ensuite, les secteurs d’activité liés à la consommation et aux besoins des retraités sont sans nul doute des vecteurs de croissance et d’emploi, que se soit dans le domaine de la santé, en particulier le secteur la pharmacie, mais également dans celui des services et de l’assistance aux personnes âgées. Ce sont là de bons exemples de développement d’activités touchant aussi bien des industries de pointe que du travail moins qualifié mais générateur de centaines de milliers d’emplois.
Enfin et surtout, les politiques économiques ont à leur disposition des instruments dont elles n’ont pas tout à fait conscience. Les transferts intergénérationnels dans notre pays sont massifs, que la source en soit publique, familiale ou professionnelle. Ils se caractérisent par des flux majoritairement tournés vers les inactifs. Un seul exemple, les plus de 60 ans reçoivent globalement près de 19 % du PIB, alors qu’ils ne représentent que 20 % de la population ; tandis que les 25-60 ans, c’est-à-dire 50 % de la population française, perçoivent moins de 10 % du PIB. La situation est encore plus flagrante pour les moins de 25 ans. On peut donc imaginer sans peine que l’accélération du vieillissement dans notre pays incitera les politiques économiques à actionner de nouveaux leviers, comme le développement de secteurs d’activité tournés vers les seniors et surtout une modification profonde des flux financiers entre générations.
C’est de toutes ces questions que ce dossier à voulu rendre compte, largement documenté par les travaux de la chaire Transitions démographiques, transitions économiques. Il comprend trois articles, deux sur le statut de la jeunesse (Côme Segretain) et de la vieillesse (Hélène Xuan et Christine Chevallier) qui ont pour caractéristique commune d’être optimistes, le troisième article « les générations à vif », mettant en relief les relations intergénérationnelles. Selon ces auteurs, le vieillissement est en effet un phénomène fondamentalement maîtrisable. À côté de cela, trois articles, ceux d’Alain Villemeur (« Une vieillesse heureuse : vers une géronto-économie »), de Jacques Pelletan (« La Nouvelle Vague ») et de François-Xavier Albouy, Julien Navaux et Hector Toubon (« Les seniors au travail ! »), décrivent des scénarios d’évolution de la société française en fonction des mesures de politique économique adoptées pour répondre à ce problème spécifique.
La méthode retenue consiste à se fonder sur une analyse économique du vieillissement et à distinguer l’impact de ce processus sur l’équilibre de quatre différents marchés. En effet, le vieillissement démographique est à même de modifier substantiellement l’équilibre sur les différents marchés : le marché des biens, qui suivra l’évolution de la consommation avec l’âge, et aussi parce que l’offre peut être modifiée du fait de l’évolution de la productivité avec l’âge ; le marché des biens collectifs, lié à la hausse prévisible des dépenses sociales (santé, retraite, dépendance) consécutive au vieillissement et aux modifications dans les modes d’accumulation du capital humain ; le marché du travail, qui pourrait souffrir d’un net ralentissement de la croissance de l’emploi, à moins d’une réforme structurelle comme le report de l’âge de la retraite ; enfin, le marché de l’épargne, qui sera largement affecté par une baisse de la propension à épargner avec l’âge.
Dans la même logique sont repérées les variables de commandes par lesquelles des leviers d’action peuvent être mobilisés, à travers chacun de ces quatre marchés, ainsi que les relations essentielles qui les régissent. Une attention particulière a été accordée aux flux de transferts entre générations. Ces flux permettent de bien différencier les trois scénarios de politique économique objets des trois articles précités.
Les conclusions provisoires à tirer de ces travaux sont passionnantes. Elles prouvent à quel point le problème du vieillissement est au cœur de l’évolution de notre société. Mais les scénarios proposés montrent également qu’il est possible de trouver un équilibre satisfaisant pour le développement des différentes générations.