Ce texte reprend l’intervention de Michel Barnier du 2 décembre 2010 lors de la deuxième conférence européenne Solvabilité II organisée par la FFSA.
Solvabilité II, qui est un enjeu important pour vous, l’est aussi pour la Commission européenne. Je remercie donc la Fédération française des sociétés d’assurances d’avoir organisé pour la seconde fois cette conférence européenne sur ces enjeux et sur ce sujet. Les assureurs ont un rôle à mes yeux très important à jouer pour le succès et l’approfondissement du marché unique européen.
Plus que jamais, en ce moment nous vivons des heures graves, sérieuses, des enjeux importants. Notre continent a besoin d’un marché unique qui fonctionne correctement pour faire face à la crise, et je pense qu’à une monnaie unique doit correspondre une économie la plus unifiée possible.
C’est la raison pour laquelle la Commission européenne, à la fin du mois d’octobre, a présenté ce document : l’Acte pour le marché unique. C’est le fruit du travail collectif de treize commissaires, sous l’autorité du président Barroso. Il contient cinquante propositions – je parle bien à ce stade de propositions – pour relancer le marché unique, pour le faire mieux fonctionner au service des entreprises, à commencer par les petites et moyennes entreprises, mais aussi au service des citoyens qui sont, dans une grande partie de leur vie quotidienne, des consommateurs et des acteurs de l’économie.
En lançant ce projet, nous sommes convaincus que, comme l’avait recommandé le professeur Mario Monti, on peut trouver chez nous, en Europe, à l’intérieur de ce grand marché, deux, trois ou quatre points de croissance ; et nous avons en ce moment de nombreuses raisons de tout faire pour conquérir ces points de croissance.
Dans ce marché unique qui doit mieux fonctionner, qui doit être consolidé, approfondi, je pense qu’il faut redonner à l’industrie financière son rôle au service de l’économie réelle. À partir de bases saines, ce système financier doit agir pour les entreprises, encore une fois pour cette économie réelle, et encourager une croissance économique durable. Je pense, en particulier, au rôle d’investisseurs de long terme que jouent les assureurs.
Le débat a donc été ouvert autour de ces cinquante propositions d’actions. Nous avons quatre mois pour débattre, pour écouter, pour enregistrer des critiques ou des propositions. Au terme cette période (au mois de février 2011), avec l’appui du Parlement européen et ses recommandations, avec l’appui du Conseil des ministres, nous arrêterons la liste définitive de ces propositions. Et la Commission européenne, les commissaires concernés s’engageront à les délivrer dans les années 2011 et 2012.
Solvabilité II s’inscrit à mes yeux dans cette démarche d’approfondissement, de consolidation du marché intérieur. Ses objectifs sont en effet de mettre en place des normes plus cohérentes et plus lisibles dans un cadre européen plus solide.
Solvabilité II doit également contribuer à la modernisation et à la compétitivité du secteur de l’assurance européen au niveau mondial. C’est bien ce mode-là qu’il faut regarder tel qu’il est. Enfin – peut-être aurait-il fallu dire d’abord –, il faut bien entendu offrir davantage de sécurité aux assurés européens.
Quels sont les impacts attendus à long terme pour les assureurs, pour les citoyens et pour l’économie en général ? Voilà une question centrale à laquelle, pour contribuer à votre débat d’aujourd’hui, je peux apporter de mon côté quelques éléments de réponse.
Les bénéficiaires directs doivent être, bien entendu, les assureurs et les réassureurs européens, qui doivent voir leur compétitivité renforcée dans un marché européen de l’assurance plus intégré.
Solvabilité II ne doit pas pénaliser, et ne pénalisera aucun assureur en raison de sa taille ou de sa forme juridique, mais doit encourager les assureurs dont la gestion de risques est la plus saine. Autre point tout aussi important : qu’apportera Solvabilité II aux citoyens eux-mêmes, aux souscripteurs d’assurance ? La question se pose, puisque ce grand marché doit être fait pour les citoyens, lesquels s’interrogent parfois sur l’avantage qu’ils peuvent en retirer. Et c’est une question à laquelle il faut également répondre de manière positive.
En premier lieu, le nouveau régime garantira aux assurés une protection uniforme, renforcée, dans toute l’Union européenne. Ensuite, nous voulons renforcer la qualité et la sécurité des produits auxquels les citoyens ont accès. Et cela doit être possible grâce à l’instauration d’une approche économique fondée sur le risque, une meilleure gestion des risques, une tarification saine et naturellement des contrôles renforcés. Enfin, ce nouveau régime doit stimuler la concurrence, ce qui devrait normalement avoir des effets positifs sur les prix et aussi sur la gamme des choix qui sont proposés.
Il ne faut pas perdre de vue l’impact plus global de la réforme sur l’ensemble de l’économie européenne. À long terme, l’alignement des exigences réglementaires sur la réalité économique doit permettre une meilleure allocation du capital au niveau de l’entreprise, au niveau sectoriel et au niveau de l’économie européenne. En conséquence, la mobilisation de capitaux devrait coûter moins cher au secteur de l’assurance et peut-être aussi à l’économie européenne dans son ensemble. Une allocation plus efficace du capital et des risques au sein de l’économie devrait favoriser, doit favoriser, je le pense aussi, la stabilité financière.
Voilà dans quel état d’esprit et avec quelles ambitions nous travaillons pour mettre en œuvre intelligemment Solvabilité II. Mais, naturellement, au-delà de l’idéal que nous devons atteindre et en tout cas rechercher, la Commission, par devoir de lucidité, de pragmatisme et de réalisme, doit mesurer, au moment où nous travaillons sur ce chantier, les impacts (et notamment sans doute certains impact négatifs) à court terme, afin de bien les identifier et partant de les traiter.
À court terme, je pense en effet qu’il peut y avoir un certain nombre d’effets indus. Nous avons donc dans ce travail à identifier ces problèmes éventuels et à leur trouver les solutions les plus appropriées, par exemple sous la forme d’aménagements transitoires ou de simplification. Il ne peut pas être envisagé, et il n’est pas envisageable à mes yeux, de remettre en cause l’économie générale du projet de Solvabilité II. Mais nous ne pouvons pas exclure la possibilité d’imaginer certains aménagements temporaires là où il s’avère, de manière empirique, qu’ils sont nécessaires. Je suis conscient des mesures de transition spécifiques qui doivent rendre plus facile le passage vers Solvabilité II. Voilà pourquoi la Commission européenne introduira une base juridique pour que de telles mesures, dans le contexte de la proposition Omnibus II, soient possibles.
La cinquième étude quantitative d’impact, QIS5, doit en particulier nous permettre d’identifier ces points de friction ou ces problèmes potentiels au moment du passage au nouveau régime. J’ai compris et j’ai mesuré que la participation à cet exercice avait été extrêmement large : environ les deux tiers des entreprises d’assurances européennes y ont, m’a-t-on dit, participé.
C’est d’ailleurs un peu au-delà de l’objectif que nous nous étions fixé à 60 % des entreprises. Je suis heureux de ce résultat, de l’importance de cette consultation, car pour moi toute consultation est riche d’enseignements. Je suis donc davantage confiant dans notre capacité de tirer toutes les leçons nécessaires pour finaliser correctement le projet Solvabilité II.
Afin d’avoir une vision plus complète, la Commission a publié la semaine dernière (le 24 novembre) un document de consultation sur l’ensemble des impacts potentiels des différents choix techniques que nous devons faire dans les mesures d’exécution de solvabilité, ce que l’on appelle le niveau II. Je vous invite, une fois encore, à jouer votre rôle. La plupart d’entre vous, s’agissant des entreprises d’assurances, l’on déjà fait. Prenez votre part dans cette consultation en nous alimentant de critiques, de propositions, de remarques, de contributions qui soient le plus solidement étayées.
J’ai insisté sur ce que je pensais à la fois de notre ambition, de l’obligation que nous avons de mettre en œuvre Solvabilité II dans son économie générale, le plus intelligemment et le plus pragmatiquement possible. Je vous ai également fait part de ma détermination à avancer, mais à avancer en écoutant, en étant ouvert aux critiques, aux suggestions et aux idées.
La qualité du projet final Solvabilité II dépendra de l’ensemble des contributions aux différentes consultations que j’ai évoquées et de leur qualité, qu’il s’agisse du QIS5 bien sûr, la consultation sur les impacts des mesures d’exécution et, plus globalement, du débat ouvert avec les Parlements nationaux, et bien sûr avec le Parlement européen, avec les acteurs économiques et sociaux, avec les régions sur la relance du marché unique et son approfondissement.
Pour conclure, je ferai tout pour faire en sorte que nous réussissions Solvabilité II, et que ce projet aboutisse de manière positive pour tout le monde, et, dans l’intérêt général européen, le plus rapidement possible. Afin qu’il représente un vrai progrès pour votre secteur, pour les citoyens européens et pour l’économie de notre continent !
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